The make up artist

Chapitre 57

L'avion qui nous transportait piqua du nez, et la légère secousse qu'il émit en se penchant vers l'avant fit rouler ma tête sur mon siège et acheva de me réveiller définitivement. J'ouvris des yeux épuisés sur l'allée centrale du jet dans laquelle deux hôtesses nettoyaient une table basse jonchée de miettes et de verres vidés de leur contenu. Mon corps était légèrement engourdi par le vol, la fatigue me fit frissonner et j'eus une grimace en croisant mes bras sur ma poitrine. Ma chemise de satin ivoire était trop fine, l'air conditionné de l'avion bien trop fort. Un doigt se tendit soudain pour s'appuyer sur le bout de mon nez froid, et le rire amusé qui fusa sur ma droite me fit cligner des yeux vivement. Michael, enfoncé dans son siège, replia les documents qu'il tenait sur ses cuisses. Sa veste iridescente projetait des faisceaux multicolores sur son pantalon de jean noir, son chapeau stationné sur un siège soutenait sa paire de lunettes de soleil, et son pied chaussé de bottines argentées à talon rouge vint talonner le mien en suivant la cadence de son rire.

-Oh non, marmonnai-je d'une voix pâteuse, je ne comptais pas dormir pendant le vol. Quelle heure est-il?

-Onze heures, répondit Michael en repoussant une mèche de devant son oeil droit.

-Zut, sifflai-je. Tu es revenu de ton appel depuis longtemps? Pourquoi m'as tu laissée m'endormir, je ne voulais pas que tu sois seul le temps du vol...

-Je suis revenu depuis trois quarts d'heure, répondit-il en tendant une main pour enlacer la mienne. Tu avais besoin de repos, tu n'as pas beaucoup dormi cette nuit. Et puis j'aime te regarder dormir, on dirait un ange.

-J'ai encore bavé, c'est ça? grommelais-je.

-Oui, rit-il. J'aimerais beaucoup te faire un sermon sur les dangers du manque de sommeil et l'excès de travail, mais je crois que je suis assez mal placé pour émettre une critique recevable.

Je hochais frénétiquement la tête, ce qui le fit beaucoup rire. Lorsque l'avion se posa sur le sol, je jetais un coup d'oeil par le hublot pour observer la foule compacte agglutinée aux abords de l'aérodrome. Nous avions un comité d'accueil par les officiels locaux, des journalistes attendaient en levant vers l'appareil leurs camescopes posés sur leurs épaules, et les fans étaient maintenus à l'écart derrière des barrières soutenues par des policiers nerveux. J'avais eu mon lot de bousculades lors de la tournée précédente, mais cette fois-ci, les proportions devenaient gargantuesques. Je côtoyais Michael depuis si longtemps qu'il m'apparaissait comme un homme tout à fait lambda, mais il m'arrivait parfois d'oublier comment les gens le voyaient de l'extérieur. Il était désormais scruté avec des yeux impressionnés et émus, la plupart de ses admirateurs ne tenaient même plus debout lorsqu'il s'approchait d'eux -fait de plus en plus rare, puisque les foules se pressaient partout où il passait. J'étais persuadée qu'il ne pouvait connaître plus de grâce que depuis la sortie de son album précédent, je m'étais lourdement trompée. J'avais la sensation de me promener avec un véritable apôtre de Dieu, parfois par Dieu lui-même.

-C'est vers l'hôpital que l'on foncera en premier, nous héla Bill Bray en enfonçant son borsalino beige sur son crâne.

-Tu as changé de programme?, m'étonnai-je en lorgnant Michael. Tu ne devais pas d'abord rendre visite à un élu local?

-Si, dit-il en repoussant une énième mèche folle de devant ses yeux assombris. Mais je préfère passer par l'hôpital d'abord. C'est de cela que l'on discutait pendant que tu dormais.

Bill hocha la tête d'un air entendu, et je sentis mes lèvres se pincer. Sous les grands yeux bruns de mon mari, de larges cernes tentaient de percer la couche de fond de teint et de poudre que je lui avais sagement appliqué ce matin là. La promotion de l'album, le tournage de ses courts-métrages, les premières apparitions et les séances photos l'avaient déjà considérablement éreinté, et il n'était même pas encore monté sur scène.