Chapitre 62

277 11 48
                                    

La perspective de passer mon séjour italien en compagnie de Prince me remit du baume au coeur. Je n'avais plus eu l'occasion de le revoir depuis les rares évènements lors desquels nous avions pu nous croiser, son sourire et sa présence écrasante m'avaient plutôt manqué. La réunion fut particulièrement agréable: je bus un café accompagné de viennoiseries et de biscuits italiens aux fruits, tout en discutant de la vision de Gianni Versace pour le défilé. Prince et moi-même le questionnions, curieux, et l'homme d'apparence si sobre s'anima soudain, la voix posée, mais rythmée par l'engouement que lui procuraient ses créations. Il était toujours terriblement intéressant pour moi de rencontrer des artistes; qu'ils fussent chanteurs, musiciens, mais aussi peintres ou acteurs en passant par les couturiers; ils s'animaient tous de la même façon lorsqu'ils étaient amenés à discuter de leur passion. Cet éclat dans l'oeil, cette voix intense, ce regard mi présent, mi perdu dans le vague, l'esprit chauffant à toute allure. Leur propre ferveur encourageait les autres à se sentir en effervescence.

-Le retour du style hippie-chic est indéniable, souligna Donatella en reposant sa tasse de café contre sa soucoupe.

-J'ai cru le comprendre, acquiesçai-je. La couverture de Madonna pour Vogue donne le ton, la casquette gavroche, le pull rayé...

-Madonna qui ne pourra pas être là malheureusement, soupira Gianni piteusement. Elle prépare sa tournée, comment est-ce que ça s'appelle déjà?

-The Girlie Show World Tour, répondis-je machinalement. Elle commence par l'Angleterre, puis la France.

-Ah, oui, bien-sûr, tu es assez proche de l'industrie pour savoir ce genre de choses, rit Gianni en se resservant une tasse de café. A ce propos... Comment se porte ton mari?

La tension dans la pièce devint plus lourde, et le trois paires d'yeux rivées sur moi firent légèrement trembloter ma main. Généralement, mes interlocuteurs se divisaient en deux catégories: ceux qui, comme Gianni, désiraient s'enquir de l'état de Michael et de l'affaire en elle-même, et ceux qui n'osaient pas aborder le sujet. Dans tous les cas, la même évidence planait dans l'air: je leur rappelais Michael, et indéniablement le procès à son encontre.

-Il joue à Singapour ce soir, répondis-je en reposant ma tasse. Il est fatigué, il tente de tenir comme il le peut.

Ne troua le silence que le tintement de l'ascenseur au-dehors lorsqu'il s'ouvrit. Les mines graves autour de moi n'osaient pas ouvrir la bouche, il n'y avait absolument rien à répondre, de toute manière. Je penchais la tête en tendant le doigt pour récolter la goutte de café qui courait le long de la porcelaine fine, puis je le posais sur ma serviette de table que je chiffonnais en refermant le poing.

-Il saura s'en sortir, mais il va avoir besoin de temps, poursuivis-je mollement. Et de personnes qui l'entourent, pas de ceux qui sont absents quand il en à besoin.

-C'est au coeur de la tourmente que l'on reconnaît nos vrais amis, approuva Prince en entourant sa tasse de ses doigts pourvus de bagues épaisses. La célébrité est un cadeau empoisonné, il est difficile de se constituer un entourage exempt de toute probable trahison.

-Le milieu de la mode en est déjà parsemé, alors celui de la scène..., ajouta Gianni en secouant la tête.

-Vous avez tout notre soutien, lança Donatella en posant sa main sur la mienne. Nous ne croyons pas un seul mot de ce qui est dit à son sujet depuis toujours, ça ne commencera certainement pas aujourd'hui.

-Tu connais mon avis, Owl, sourit Prince en tapotant mon avant-bras lentement. Je vous crois sur parole.

Je les remerciai d'un hochement de tête reconnaissant. Il était parfois bienheureux de retrouver un coin d'ombre lorsque la vie entière vous explosait à la figure.
Après la réunion bien plus légère que ce à quoi je m'étais attendue, je rejoins ma suite en bavassant gaiment avec Prince. Ce dernier n'était jamais à cours d'anecdotes, mais cette fois ci en particulier, il me sembla bien plus tendu que d'ordinaire. J'avais vaguement entendu parler de sa rupture de tout liens avec sa maison de disques, et je le savais en tournée européenne, mais la vigueur avec laquelle il s'exprimait m'était toute nouvelle. Je ne l'avais jamais vu se départir de son ton noble et de son ironie pointue.

The make up artistOù les histoires vivent. Découvrez maintenant