Obsessions

Chapitre 2 : Le fou du roi

Camille

La rue était recouverte d'un léger manteau de neige, mais cela ne décourageait pas les passants. Le taxi arriva rapidement à destination et me déposa devant un club latino. Ignorant la file d'attente, j'interpellai l'agent de sécurité.

« Camille Delatour. »

Nouvelle mission, nouveau nom. Il regarda son listing. Une invitée du patron. Je devais forcément être importante. Il me dévisageait sourire aux lèvres, . Aucun doute il aurait aimé être à la place de son boss. Avec un excès de prévenance, il me conduisit aux vestiaires et me délesta de mon manteau. Sa respiration se coupa à la vue de mon dos nu. Mon côté pile lui plaisait terriblement. Son collègue le rappela à l'ordre. Avec regret, il me quitta pour rejoindre l'entrée du night-club.

Une hôtesse m'accueillit et me guida vers un salon privé, ouvert sur la piste de danse. Je la remerciai en lui glissant un billet dans la main et lui commandai un Virgin Mojito. Je devais garder l'esprit lucide. Assise dans un fauteuil en cuir noir, j'observai le spectacle qui s'offrait à moi. Dans tous les sens du terme, l'ambiance était très chaude. Au rythme endiablé de la salsa, les corps se touchaient, s'éloignaient et se retrouvaient. Il était difficile de s'imaginer que dehors, la température était hivernale. Ici, les corps étaient luisants de transpiration. Cette proximité homme-femme me mettait mal à l'aise, mais le jeu avait commencé et rien ne devait l'arrêter.

Un beau latino s'approcha de moi, montant souplement les quelques marches entre la piste de danse et le salon. Sans demander la permission, il s'installa en face de moi. À sa démarche et son assurance, il devait être Pablo, le patron du Club.

« Le fou du roi est-il ici ? » demandai-je sans me donner la peine de le saluer.

Chemise noire entrouverte, sourire de star de cinéma aux lèvres, il se pencha en avant, m'offrant une vue sur son torse poilu et musclé. Sa technique grossière de séduction était pathétique. Il fallait que je m'y fasse. Ça ne serait pas long.

« Êtes-vous à la hauteur de ce qu'on m'a promis ?

- Et bien plus encore, soulignai-je en croisant mes jambes sensuellement.

- Attention, Chérie, je suis très difficile à combler.

- N'est-ce pas l'intérêt ? lui répondis-je en me pinçant les lèvres. J'aime les challenges.

- Alors que le jeu commence, déclara-t-il.

Il se releva et me tendit la main. Légèrement plus grand que moi, il me fit tourner sur moi-même et plaqua mon dos contre lui. Il en profita pour me déposer un baiser dans le cou. J'eus un frisson de dégoût face à son côté tactile. Je n'eus pas le temps de lui interdire de le refaire que la salle fut mise dans l'obscurité totale. Le silence envahit l'espace, à peine couvert de quelques murmures.

« Ma louve, êtes-vous prête ? » murmura-t-il. « Votre chasse commence. »

Je levai la main et la posai sur sa joue dans un geste élégant. Le spot nous éclaira, et les premières notes de « Libertango » se firent entendre dans un doux mélange de douceur et de sensualité. Mon cœur se mit à battre plus fort. La main puissante de Pablo me guida sur la piste. Le tango est une danse d'amour, de passion. Sa main à plat sur mon dos nu, la proximité de son corps et l'enchaînement de pas rapides à des pas langoureux, tout raisonnait comme la promesse d'une passion dangereuse, interdite et incontrôlable. Son regard noir cherchait mes yeux, à l'affût de la moindre peur, du moindre doute. Des doutes, je n'en avais aucun et je savais contrôler mes peurs. Virevoltant, nous nous unissions avant de nous fuir, pour mieux nous retrouver. Ma robe s'envolait dans ce décor sombre. Le noir et le rouge s'imposaient. Le hasard n'avait pas sa place, et ce n'était qu'à ce prix que Pablo dansait avec moi, peu importe l'argent que ma patronne lui avait offert. Nos jambes s'entremêlaient dans des arabesques endiablées et précises. Sur la dernière note, le danseur me fit basculer. Le geste était précis, l'emplacement choisi. À l'envers, je vis au premier rang une des pièces maîtresses de l'échiquier : Le Fou du Roi.