Chapitre 23- Tombés (1/2)

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Camille

— Va te faire foutre !

Sa réponse claque contre les quatre murs de mon bureau heureusement insonorisés. Gabriel me lance un dernier regard haineux et fait demi-tour s'approchant dangereusement de la porte. Je dois trouver une autre issue. Mon cœur palpite. Ma température augmente. Oui, je ne peux le laisser partir. Il en va de mon avenir. Non, il en va de l'avenir de tous. Je ne peux plus tenir seule la barre de mon nouveau navire. J'entends déjà les premiers craquements de la coque, les déchirures de la voile, le mât qui se fend. 

— Tu te trompes d'ennemi, lui lancé je tentant de le retenir. J'ai acheté les parts Keys mais si ce n'était pas mon groupe, c'est ta sœur qui t'aurait éjecté. 

Il s' est figé. Ses épaules crispées me prouvent que j'ai atteint mon objectif : lui mettre le doute, un doute faible, infime mais un doute quand même. Il connaît Mathilde. Ils ne s'aiment pas. C'est mon unique porte de salut. Je mise tout sur ce coup.

- L'idée de me recruter pour détourner l'attention des frères Keys, l'idée de te faire boire pour que tu ne puisses plus réfléchir, l'idée de renverser un verre d'eau sur les contrats après lecture et d'en trouver miraculeusement des copies presque identiques, à quelques mots près, je ne les ai pas eues. Tout vient de son esprit tordu. Elle voulait votre mise à mort. Elle ne voulait plus vivre dans l'ombre...

Le silence accueille mon aveu.

— Et toi, tu es notre sauveuse ? se moque-t-il. 

— Non, je n'ai sauvé personne. Je voulais faire payer ton père et elle ...uniquement eux. Vous êtes des dommages collatéraux. Je suis désolée, avoué je la nausée au bord des lèvres.

Oui, je le confesse. Je n'ai pas l'esprit aussi tranquille que je l'aurais cru depuis ce week-end. Les frères Keys ont laissé des traces dans mon esprit et dans mon cœur. 

Gabriel reste silencieux. Il a besoin d'assimiler tout ce que je viens de dire. Il continue à me tourner le dos. Je ne peux pas analyser ses expressions. Je n'ai que le ton de sa voix pour juger de l'impact de mes paroles.

Ce mal de tête qui ne me quitte plus limite mes capacités à réfléchir, me force à abattre mes cartes plus vite pour mettre fin au combat. Je suis fatiguée de jouer, fatiguée de jouer avec lui.

— Les preuves sont sur ton bureau : une vidéo que j'ai faite de Mathilde juste avant la fête, et une conversation téléphonique avec ton père que j'ai eue après mon départ du manoir.

— Tu as téléphoné à mon père après ta mise à mort. Il ne m'a rien dit, murmure-t-il déçu.

— Je sais. Je l'ai compris quand tu es venu à ton bureau le lendemain mais je devais mettre la pression à Aron. Je suis sincèrement désolée, Gaby. Je n'avais pas prévu cette partie du plan.

— Qu'est-ce que tu n'avais pas prévu ? dit-il en grinçant des dents.

— Les frères Keys. Vous deux, je ne vous avais pas prévus, concédé-je en balayant l'air du revers de la main.

Il se retourne enfin. Son visage est dur et ses yeux marron sont perçants, menaçants. Sa haine se jette à ma figure telle une bête féroce. Je ne lui en veux pas. À sa place, j'aurais été bien pire que lui. Ne l'ai-je d'ailleurs pas prouvé ?

— Tu n'avais pas prévu de tomber amoureuse de lui. Tu n'avais pas prévu que reprendre une boite sans l'accompagnement de son cédant était dangereux. Tu n'avais pas prévu que tu aurais besoin de moi. Mais as-tu vraiment des remords pour nous ? Je ne le crois pas. Tu es en échec Camille et cela te ronge. Il n'y a qu'à te regarder pour affirmer que ta chute est proche. Tu es pathétique.

Je me tais. Il n'y a rien à ajouter. Dans cette histoire, j'avais déjà abandonné mon cœur en route et je vais sûrement perdre la raison si Gabriel n'accède pas à ma demande. Un frisson parcourt toute ma colonne vertébrale en pensant au regard dépité de mon grand-père. Par vengeance, j'ai pris des risques et la destruction de notre empire est proche. Des siècles à le construire, trois petits mois pour le liquider.

Un rictus se dessine sur son visage. Il a le contrôle. Il le sait et moi, je suis à sa merci.

Soudain, un haut le cœur s'invite dans cette partie serrée. Je n'ai pas le choix. Je dois écourter cette discussion. Je vois la vague arriver, une déferlante que je vais avoir du mal à canaliser. Je dois rester seule. Mon corps se disloque.

— Réfléchis ! Regarde la vidéo et écoute l'entretien avec Aron ! Au moins, tu sauras la vérité et après, fais ce que tu veux.

Il ne dit mot et, à mon grand soulagement, quitte enfin la pièce. Je l'entends demander à mon assistante le chemin du bureau de Sasha. La jeune femme saura une fois de plus le convaincre.

Je n'ai pas le temps de me réjouir de cette possibilité. Heureusement que dans ce bureau j'ai une salle de bain privée. Je cours vers les toilettes et me vide. Je n'ai rien gardé depuis ce matin. C'est le goût acide de la bile qui afflue dans ma bouche. Je ne peux plus retenir mes larmes. Je suis épuisée. Je m'allonge à même le sol froid et me mets en position fœtale. J'essaie de me rassurer, de me dire que tout va bien, que je ne serai pas obligée de licencier, de me séparer de certaines entreprises. Les banquiers vont continuer à me suivre. Lucas va se réveiller. Gabriel va accepter.

Et même dans ma folie, j'imagine Raphaël débarquer. Dans mon délire, il me prend dans ses bras, éteint la tempête qui fait rage en moi, mais ici et maintenant, je suis seule sur cet océan déchaîné. Mes larmes se tarissent enfin. Je ne suis plus qu'une coquille vide.

Quand mes jambes acceptent de me porter, je me lève, asperge mon visage d'eau froide, envoie un sourire bien terne à mon reflet.

— Allez, ma Rose ! Tu vas y arriver. A cette fête des apparences, tu en as toujours été la reine.

Mais la rose se fane. Je me prends moi aussi pour un objet, un symbole. Gabriel a raison. Je suis pathétique.

Je n'ai plus rien d'humain. Je ne vois plus la beauté héritée de ma mère, le courage de mon père, l'entêtement de mon grand-père. Mes yeux verts me rappellent ceux de mon frère, fermés depuis trop longtemps.

J'aimerais redevenir une enfant, jouer dans les bois de Papou, libérer les chiens de chasse rien que pour l'énerver, les faire courir dans le parc et dans les couloirs du château, sauter sur les lits, prendre le thé avec Mamy, refaire le monde avec Papa, cultiver les roses noires de la serre et dormir dans la cabane avec Lucas après avoir raconté des histoires d'horribles hommes des cavernes, de mangeurs uniquement de petits frères. Alexia nous aurait accompagnés au fond des bois et je leur aurais promis de les protéger toute leur vie des monstres. Effrayés, ils se serraient collés à moi et j'aurais été leur héroïne.

🌹

Qu'as-tu pensé de la réaction de Gabriel ? 

Camille peut-elle garder un espoir ou devra-t-elle trouver une nouvelle stratégie ?

L'air parisien n'a pas l'air de convenir à notre working girl ou peut-être est-ce le fait d'affronter Gaby.

Si tu as aimé, je t'invite à mettre une petite étoile.

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