Chapitre 45- Pélerinage

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Raphaël

Le mois de novembre s'est annoncé aussi pluvieux et triste que mon état d'esprit. J'ai bossé toute la nuit, surtout pour éviter de rentrer à l'appartement. J'avais cru au bonheur mais le bonheur n'est pas une chose que l'on obtient facilement. J'ai toujours cette impression de devoir combattre Camille pour y avoir droit. Les pièces sont remplies de ses silences.

Mes pensées me replongent quelques mois en arrière, le jour de son anniversaire. Elle rayonnait. L'avenir nous appartenait. Puis, quelques semaines plus tard, le destin l'a torturée. Depuis, elle a énormément changé. Elle me fuit alors que c'est ensemble que nous pourrions surmonter son traumatisme, sa séquestration, son accouchement, son hospitalisation.

Ce jour devait être le plus beau de ma vie. Ma sœur nous l'a volé.

Une porte claque. Je lève les yeux de ma tasse de café. Elle apparaît, m'observe, et sans un mot, elle entre dans la chambre du bébé, celle que j'avais préparée avec soin et amour grâce à l'aide d'Hannah et Gabriel. Rapidement, elle sort de la pièce, blême, les lèvres tremblantes. Elle ressemble à une biche prise dans les phares d'une voiture, loin de la louve forte d'autrefois. Son regard cherche son employée de maison mais elle ne la trouve pas et s'oblige donc à me parler.

— Où est-elle ?

— Bonjour, ma Rose dis je de la voix la plus douce que j'ai.

— Ne m'appelle plus comme cela ! 

Son ton est sec, trop tranchant à mon goût. Elle peut être mal, mais ça n'excuse pas cette façon de m'adresser la parole. La colère, trop longtemps retenue, monte en moi. Je me lève de mon tabouret et contourne l'îlot. Ses deux poings sur la taille soulignent sa perte importante de poids. Sa fragilité me percute et le soufflet retombe. Je ne peux attaquer quelqu'un déjà à terre.

 Camille se défonce au travail et fait du sport à outrance. Ses kilos de grossesse ont tous disparu. Depuis son accouchement, elle nous refuse toute intimité mais pas besoin de la voir dénudé pour le savoir, elle n'a plus que la peau sur les os. Sans son fort caractère, elle aurait déjà flanché. Elle épuise son corps. Sa chute n'est plus très loin.

Aujourd'hui, Camille combat la pire de ses ennemies : elle-même. 

Elle n'en a absolument pas conscience. Ma femme refuse mon aide et cache aux autres ses problèmes. Afin de m'éloigner d'elle, elle a prétexté nos emplois du temps trop différents, et nous faisons chambre à part. Elle ne  partage plus aucun repas avec moi, ayant toujours une bonne et parfois même une mauvaise excuse pour se justifier. Dès que je la touche, que je la frôle, elle sursaute et s'empresse de disparaître.

Parfois, la nuit, dans sa chambre, à même le sol, elle observe une bougie allumée devant elle. Elle est hypnotisée par la flamme, puis elle souffle dessus et se met à respirer fort. Rien n'y fait. Camille a dorénavant peur de l'obscurité. Elle tente de dépasser sa phobie. Malgré toutes ses tentatives, inlassablement, elle dort la lumière allumée. 

Un jour, mon casque Bluetooth sur les oreilles, musique à fond revenant de mon jogging, je suis entré dans la salle de bain pensant être seul. Camille prenait sa douche. Une trace de morsure sur sa hanche droite m'avait frappé. Comme un coup de couteau sur une œuvre d'art, une déchirure sur un chef d'œuvre, la bête avait laissé un souvenir sur ma reine. Les dents du rat avaient provoqué une infection. La cicatrice était là pour le témoigner. Ma compagne avait eu beaucoup de fièvre après son accouchement. Jamais le corps médical ne m'en avait dévoilé la vraie raison. J'avais présumé que c'était dû au produit injecté par Mathilde. J'avais quitté la pièce d'eau sans un bruit. Si Camille ne m'en avait pas parlé, c'est qu'elle ne se sentait pas encore prête. Mais le sera-t-elle un jour ?

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