Chapitre 33 : Tes épines

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Raphaël

Elle m'attend, adossée à une Lamborghini URUS jaune. Elle n'a eu aucun doute sur ma décision. Nos valises sont déjà dans le coffre.

Cet hôtel particulier est fait de petites fourmis discrètes qui œuvre pour leur reine. Un membre du personnel a monté le nécessaire pour que je puisse me changer : un boxer, un jean bleu nuit, une chemise Yves Saint Laurent blanche accompagné d'une veste noire du même couturier et même un parfum acheté le matin même dans une parfumerie parisienne. La Rose avait donné ses instructions. Je n'ai jamais connu de femme aussi prévoyante et directive.

Ma valise et ma guitare m'attendent dans le coffre. Si j'avais refusé de la suivre, aurais-je perdu ma précieuse gratte? Serait-elle partie avec ? L'aurait-elle utilisée pour me revoir ? Sait-elle seulement son importance pour moi ?

Elle me détaille des pieds à la tête. Son évaluation est humiliante. Un frisson s'agrippe à ma peau. Mais je ne dis rien. Je ne connais pas ses codes. Son frère vient d'être agressé. C'est peut-être sa façon de gérer la nouvelle, de reprendre le contrôle, un réflexe d'autoprotection.

Ils étaient nombreux en République Dominicaine : la colère, l'indifférence et parfois, le dédain. Ma reine n'est pas parfaite. Depuis des mois, je l'avais magnifiée, oubliant tous ses défauts qui la rendent si réelle.

Elle me lance les clés. Je les rattrape au vol.

- Tu conduis. J'ai des appels à passer, m'informe-t-elle en me tournant le dos.

- Je ne connais pas le coin.

- Vive le GPS ! dit-elle en levant ses bras dans un geste de fausse joie. L'adresse est déjà rentrée.

Elle s'installe côté passager et attache sa ceinture. Les immenses portes du porche en bois massif s'ouvrent devant nous. Sans se soucier de mon appréhension sur ce territoire inconnu, ses yeux trop maquillés pour moi se plongent sur l'écran de son Smartphone. Elle met ses oreillettes. Je n'existe plus. La conversation est sèche. Elle ordonne, commande, dirige. Sa voix est le reflet de son mécontentement.

Ne connaissant pas Paris, je me concentre sur les instructions du GPS. Quand les arbres et les champs font leurs apparitions, je suis un peu plus serein et profite de cette sublime voiture. Son moteur ronronne, ouvrant la voix devant nous. Sa ligne épurée et sportive impose le respect sur la route. Je ne double personne. C'est encore mieux. Les autres conducteurs, regards admiratifs, me laissent la voie de gauche. J'ai l'impression d'être un dieu du bitume : une belle voiture, une belle femme. Le soleil s'est même invité.

Le pauvre animal réclame d'être délivré de toute sa puissance. Les cylindres semblent être retenus par la limitation de vitesse. J'essaierais bien de trouver un circuit pour tester la bête. Cette idée me plaît . Cela va être un vrai kiff.

Soudain, je me rends compte que le silence remplit l'habitacle. Je me tourne vers elle découvrant des yeux émeraudes qui me fixent. Depuis combien de temps, m'observe-t-elle ? Elle est épuisée, alors qu'elle était, un peu plus tôt, vive et joyeuse dans le canapé, puis énervée et colérique avant de quitter Paris. Un doux sourire, puis une grimace se dessine sur son visage. Elle pose aussitôt sa main sur son ventre.

- Ça va ? demandé-je inquiet.

- Non, rien ne va, déclare -t-elle abattue.

Dans sa voix, l'urgence est palpable. Comment peut-elle bien aller ? J'ai vraiment des questions à la con. On vient de tenter de tuer son frère. Elle se retrouve dans cette voiture alors qu'elle vit une grossesse compliquée. Je ne suis pas doué avec elle. Je prends la première sortie et me gare. Ce n'est pas l'idéal pour la Lamborghini. Les places sont étroites. Mais ce petit bijou n'est plus dans mes préoccupations. Je fais le tour du véhicule et détache sa ceinture. Je me rends compte qu'elle a fait preuve d'imprudence en quittant Paris. Nous roulons depuis une heure et sa pâleur est effrayante. J'hésite entre la sermonner de sa folie ou la prendre dans mes bras. Je retire mon manteau et la recouvre avec. Elle respire mon odeur, celle du parfum qu'elle m'a acheté.

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