Chapitre 7: Immersion

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Aron

« Carpe Diem, Aron. Le temps est précieux. »

C'était la devise d'Elena.

Gabriel et elle devaient être plus proches que je ne le pensais s'il lui avait parlé de sa mère. Mon aîné était peu loquace, tout comme moi. Il n'évoquait jamais les fantômes du passé, que ce soit celui de sa sœur, de son oncle ou de sa mère. Trois décès qui avaient ébranlé autant mon fils que moi. Raphaël n'avait pas de souvenirs ni de son oncle ni de sa sœur. Il n'avait que quelques mois au moment de l'accident. Mon benjamin avait été joueur, joyeux, extraverti. Dans le domaine de la musique, il avait hérité de sa mère. J'avais vaguement entendu parler qu'il commençait à se faire une place dans le monde fermé des compositeurs, et plus particulièrement dans les bandes originales de séries télé. Je savais aussi qu'il aspirait à créer pour le cinéma. Des projets, il en avait toujours eu plein la tête, ne s'enfermant jamais dans un domaine précis. Ma femme avait été très fière de ce blondinet courageux. J'avais toujours eu cette impression que des fées s'étaient penchées sur son berceau à sa naissance. Aujourd'hui, le voir me brulait les yeux, m'arrachait le cœur. Son regard avait la même profondeur que celui de ma bien-aimée épouse. Il me rappelait sa terrible absence. Le voir m'étouffait de culpabilité. La culpabilité de ne pas avoir été le meilleur des maris, le plus idiot des hommes. C'était insupportable.

Gabriel avait aussi été un petit garçon heureux. Après le drame, malgré le suivi par un psychologue renommé et onéreux, à cinq ans à peine, il avait perdu son âme d'enfant, son innocence. Tout avait basculé, ce jour-là, sur le catamaran. Michelle était tombée par-dessus bord. Son frère avait essayé de la sauver. Sans peur, le petit Gabriel, qui croyait être un super-héros, avait plongé dans les eaux turquoise. Je n'étais pas là pour les protéger. Mon frère avait pris les deux enfants pour que notre couple se retrouve après trois grossesses successives. Raphaël était resté avec Damon, mon ami de toujours. Sa femme était enceinte. Une sorte d'entraînement pour les jours à venir avaient-ils dit pour nous convaincre de leur laisser notre dernier.

Mon petit frère, Paul, était parti avec les deux enfants. Il n'avait pas vu chuter Michelle. Pour lui, elle était à la sieste dans la cabine à l'abri du soleil et Gabriel était avec le personnel naviguant dans la petite cuisine. Il s'était octroyé un moment de détente. Les yeux clos, il avait entendu quelque chose tomber dans l'eau puis les cris du garçonnet. Il n'avait pu en sauver qu'un. Quelques semaines après, incapable de surmonter le drame, Paul s'était donné la mort. Il tenait une photo de Michelle dans les mains quand son corps fut retrouvé, imbibé d'alcool. Gabriel se cloîtra dans le silence. Les mots refusaient de sortir de sa gorge. Au bout de deux ans, ce fut le petit Raphaël qui le sortit de son mutisme. Le petit clown brisa les remparts érigés par son frère. Ma femme avait versé des larmes de bonheur quand elle entendit à nouveau la voix enrouée de notre aîné. Les enfants étaient plus résilients que les adultes.

Je n'avais plus jamais été le même. J'avais fui mon foyer, la honte collée à la peau. Je m'étais mis à travailler plus fort, plus dur. J'avais fait croître l'entreprise familiale, délaissant Elena et nos fils. Ma famille ne manquait de rien : des écoles prestigieuses, des anniversaires formidables, des vacances aux quatre coins du monde. Elena, les yeux brillants, me rappelait souvent que nos enfants avaient plus besoin de moi que de mon compte en banque. J'avais été incapable de protéger Michelle, de soutenir Paul. Entouré de ma femme et de mes fils, les reproches dans ma tête fusaient. Laisser mon épouse s'occuper de notre foyer était mieux pour tout le monde. Mon équilibre mental en dépendait, mais Elena était partie maintenant. Là-haut, elle devait avoir rejoint notre fille et mon frère. Malgré son geste de désespoir, Elena avait toujours été persuadée que l'enfer n'était pas pour mon petit frère. Il avait rejoint le paradis pour être auprès de notre ange. Pour ma part, je ne croyais plus en rien. Aujourd'hui, je n'aspirais qu'au silence, à l'oubli. La louve et mon dernier fils ne m'aidaient pas. Aussi bruyant l'un que l'autre, des rires, de la musique, et cela en à peine une matinée ! Ils réanimaient la maison, moi qui l'avais murée dans un silence de mort. Elle était devenue un mausolée en sa mémoire.

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