Un don lunaire

Chapitre 67

J'étais coincée dans l'esprit d'une sorcière vieille de plus d'au moins d'une soixantaine d'années avec aucun moyen de retrouver mon corps. Je ne contrôlai aucunes de ses actions et aucunes de ses décisions, juste une voix dans sa tête.

Pendant qu'elle tuera les hommes et les femmes qui se dresseront sur son passage, toi, qu'est-ce que tu feras ? Oh, très simple, je regarderai la scène depuis ses yeux sans pouvoir faire autre chose que lui dire que ce n'est pas bien ce qu'elle fait.

Quand je pensais à ce futur, je savais que je ne pouvais pas rester les bras croisés à attendre que cela se passe. Je devais faire quelque chose pour sortir de sortir de son esprit, pour retrouver mon corps et pour l'arrêter. Bon, ça restait trois choses très difficiles à faire.

     - Tu sais que si tu essayes quoique ce soit pour t'échapper, je le saurai en entendant tes pensées ? me rappela Amber.

Ah oui, restait-il encore ce problème. Je ne pouvais rien faire sans qu'elle sache ce que ce que j'avais derrière la tête. Je baissai les yeux, j'étais vraiment au pied du mur. Personne pour m'aider avec un ennemi beaucoup trop fort pour moi. Je ne pouvais pas utiliser ni ma magie, ni mon don sans mon corps physique. Il me fallait donc me débrouiller seule.

Pourtant le plan de Amber ne pouvait pas être infaillible, si elle avait accès à mes pensées, je devais avoir accès aux siennes. J'entendis un rire sortir de sa bouche.

     - Bien essayé mais non. Dans mon esprit, tout ne fonctionne pas équitablement. Si j'obtiens quelque de toi, ne t'attends pas à recevoir quelque chose de ma part. Estime toi heureuse de ton cas, je ne t'ai pas tuée à ce que je sache ? Ni toi, ni ton corps physique. Tu ne feras pas partie de ceux qui se sont dressés contre moi et qui sont morts.

J'aurais préféré les rejoindre que de subir mon cas, grinçai-je pour lui répondre. J'entendis Amber soupirer avant d'oublier ma présence pour continuer son vol dans le ciel. 

Plusieurs fois, je la vis descendre du ciel pour cracher son jet de flamme sur de valeureux guerriers combattant ses forces. Je voyais dans leurs yeux la terreur qu'ils ressentaient à chaque fois quand ils voyaient cette dragonne fondre sur eux sans aucune issue pour lui échapper et en voyant leur mort approcher. Plusieurs fois, j'essayai en pure perte de prendre le contrôle du corps de dragon de Amber pour arrêter le massacre qui se déroulait sous mes yeux. Ces milliers de vies décimées sous mes yeux.

Amber, elle, riait aux éclats en reprenant de la hauteur pour contempler son œuvre. Des corps brulés vifs, la terre en flammes, l'odeur de cendre s'élevant dans le ciel... La sorcière restait quelques instants au dessus de ce spectacle macabre, à voler en cercle au dessus des volutes de fumée grises comme pour me laisser tout le temps de voir avec horreur ce qu'elle faisait. Puis, elle repartait aussi vite qu'elle était arrivée, à la recherche de nouvelles troupes ennemies à massacrer.

Tout le long de cette première après midi à nouveau dans son corps physique, Amber prit la vie de quelques milliers de personnes, souriant à chacun de leurs cris. Elle était euphorique à chaque jet de flamme qu'elle crachait comme si elle attendait cela depuis des années. Ce qui était vrai.

Je réalisai alors que tout s'était présenté comme dans la vision que j'avais eu lors du bal, au château des elfes des prés. Quand toute cette histoire n'avait pas encore vu le jour. Même en connaissant ce futur, je n'avais pas été capable de l'empêcher.

Pendant que je me rejetais la faute sur moi-même, le soir avait commencé à pointer en même temps que le jour à baisser. Peut-être lassée pour le reste de la journée de cramer des gens, Amber avait arrêté sa chasse incessante aux soldats ennemis et avait ralenti l'allure, comme moins pressée de semer la terreur dans Seachain.

Elle bailla de sa grande gueule écailleuse avant d'entamer une descente vers une petite clairière, les paupières lourdes. La demie dragonne y commença à creuser un fossé assez profond pour la camoufler au maximum et ne pas être vue depuis les airs.

Quand cela fut fait, Amber s'y installa le plus confortablement possible et d'un souffle, reprit sa forme humaine. Ses écailles rouges s'étaient changé en une tenue sombre et elle avait entouré ses cheveux roux d'un grand bandana noir. Dans l'obscurité de la nuit, elle était soudainement invisible.

Après que sa tête ait touché la terre du fossé fraichement creusé, ses paupières ne tardèrent pas à tomber lentement de fatigue. Dès lors, il se passa quelque chose d'étrange. Quand les yeux de Amber se fermèrent, je me retrouvai soudain propulsée dans le lieu où je l'avais rencontrée.

De nouveau, je me trouvai dans mon semblant de corps très peu lumineux dans la vaste étendue de noir et de néant. Bizarrement, ce vide ambiant me semblait être le lieu le plus familier des derniers jours, me rappelant mes visions mensuelles et mon pouvoir. Je m'attendais presque à le voir apparaitre sous l'incarnation de l'une des mes connaissances.

Amber ne se trouvait pas ici, me laissant seule dans son esprit. Elle était sûrement dans son inconscient pour se reposer. Très vite, je ne cherchai plus à en comprendre davantage, si elle n'était pas pour m'écouter ou pour me voir, c'était ma chance pour m'échapper !

En tournant les yeux de part et d'autres, je regardai avec espoir si une porte de sortie n'était pas apparue miraculeusement, en vain. Rien que du noir et de l'obscurité à perte de vue. Plus de petite lumière vacillante à l'horizon. Rien.

Je m'assis sur le sol pour mieux me concentrer et réfléchir ; j'étais dans l'esprit de Amber, dans sa tête. On pourrait comparer ma condition à celle d'un prisonnier dans une prison coupé de l'extérieur. Mais contrairement à une prison du monde matériel, ce lieu semblait comme infini. Je supposais qu'il n'y avait pas de murs à la fin.

Dans une prison normale, un prisonnier pouvait essayer de creuser un passage pour essayer de s'enfuir mais où parler d'un passage quand il n'y avait pas de mur où creuser ? Assise en tailleur, je m'appuyai sur mes mains en arrière, la tête balancée en arrière et le regard rivé au dessus de moi. Il n'y avait sûrement pas de plafond non plus ici. Mais...

Mes doigts se plièrent sur la surface où j'étais assise tandis qu'un sourire traversait mon visage. Pas de murs, pas de plafond mais un sol bien réel. Je me tournai sur moi-même pour l'inspecter, pas un passage mais un tunnel. C'était peut-être un peu dur mais ça pouvait être creusé, cela ressemblait à de la terre sèche sans fissures.

À l'aide de mes doigts pâles et de mes ongles, j'essayai de creuser le sol mais la touche se révéla ardue. Je persévérais, consciente que c'était peut-être ma seule de m'échapper ; en temps normal, j'aurai sûrement abandonné à cause de la douleur que m'aurait infligée cette tâche. Heureusement qu'on ne ressentait pas la douleur dans les esprits.

Au fur et à mesure et armée de patience, je réussis à creuser un trou pouvant accueillir une balle de tennis. Alors que je continuais à approfondir ma brèche, je sentis le corps d'Amber bouger. La pauvre ne devait pas aimer ça, même si elle dormait. Après tout, je lui creusais littéralement la tête.

Je me rendis compte que si Amber se réveillait, je me retrouverais certainement à la place de tout à l'heure, celle de la voix dans la tête. Il me fallait terminer mon tunnel au plus vite, au risque de recommencer entièrement la tâche, je n'étais pas sûre que ce trou resterait indéfiniment là à m'attendre. 

Avec une nouvelle pression, j'accélérai la cadence de travail, Amber bougeant de plus en plus dans son sommeil. Ma cavité avait la taille d'un ballon de foot, quand je vis l'étincelle de lumière qui brillait en son fond. Ne m'attardant pas à cette trouvaille, je continuais à creuser comme une demeurée.

Petit à petit, ma brèche s'agrandit pour avoir assez d'espace pour moi. Cela avait ouvert la voie à une vive lumière, bien plus puissante que celle de mon corps.

Fermant les yeux et priant pour que cela marche, je me laissai tomber dans le trou de lumière.