Chapitre 73

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Mes yeux s'écarquillèrent sous l'effet de la stupeur. Le seul Élémentaire que j'avais rencontré se révélait n'être pas inconnu aux désastres de Amber. En repensant à la sorcière, ma rage remonta en moi et je vis rouge. Mes poings se serrèrent en repensant à son rire quand elle me renvoyait de son esprit. J'avais soudainement l'envie de détruire ce qui me passait sous la main, à savoir l'aigle lumineux devant moi.

Mais en voyant son air piteux, je me sentis un peu coupable de me déchainer contre lui. Après tout, je venais de lui dire que je ne le jugerais pas ; cela aurait semblé hypocrite de ma part de lever la main sur lui juste après qu'il m'ait racontée ça. Et surtout, parce que je n'aurais pas pu le toucher dans ma forme immatérielle d'âme errante.   

J'inspirais un grand coup pour évacuer mon excès de colère et essayai de retrouver une attitude calme et impassible. Je rejetais mon attention sur Mistral qui avait baissé les yeux honteusement et qui n'avait pas vu ma haine passer furtivement sur mon visage. Après un petit moment de calme, je relançai la conversation et lui dit le plus sereinement possible.

     - Comment as-tu pu être aussi inconscient ? Mistral, on parle d'Amber là, tu sais, la plus dangereuse sorcière du monde ! lui rappelai-je en grinçant des dents. Sa simple présence a créé un chaos pas possible sur Seachain !

     - Mais quand je l'ai rencontrée, rien de toute la malveillance qu'on lui connait aujourd'hui n'existait pas, soupira l'Élémentaire.

Ma légère fatigue me força à m'arrêter dans un coin près du Lac aux Sirènes d'où on apercevait une belle vue du paysage. Voyant mon air indifférent, l'être de puissance se décida à me raconter son histoire en s'arrêtant à côté de moi.

     - Il y a une centaine d'années dans ton monde, c'est-à-dire quelque années ici, je me suis rendu dans ton espace temps pour choisir la nouvelle sorcière qui saurait protéger le clan des humains de l'oppression des autres. J'avais jeté mon dévolu sur une petite fille de quelque années à peine, cinq ans je crois, la petite Amber, qui avait été abandonnée à son sort avec sa mère par son père. Elle avait des cheveux rouges comme sa mère et les yeux bruns de son père, le roi. Même si le destin ne l'avait pas choyée, elle avait l'air d'un petit ange dont le monde n'avait pas voulu. 

Toujours la tête baissée, la voix de Mistral s'était adoucie en parlant de la sorcière, comme si il parlait d'une petite fille sage et innocente. Comme sa petite protégée.

     - Je lui ai donc confié mon pouvoir de voir les liens qui unissaient des personnes, pour qu'elle puisse distinguer les vrais amis des faux. Mais cela empira sa situation. La seule qui l'aimait à sa juste valeur était sa pauvre mère qui décéda quelques années après. Quand Amber, âgée d'à peine six ans, vit que c'était le fil de son amour pour Drake qui s'était resserré autour de son cœur jusqu'à l'étouffer, elle changea considérablement. Elle ne voulait plus la justice pour les hommes mais la destruction des autres clans.

     - Je connais son histoire, l'arrêtai-je. Sa haine a été nourrie tout au long de son jeunesse où elle a vécu avec des humains ressemblant à mon père, criant à la vengeance. 

     - J'aurais voulu un meilleur foyer pour elle, regretta l'Élémentaire, la défendant. Elle n'a pas eu une enfance facile avec l'absence de son père et la mort avancée de sa mère. De ce que je sais ce qui s'est passé pendant ses premières années, Amber a toujours œuvré contre la volonté des autres avec son don. Elle s'était mise à croire qu'elle pouvait arrêter le monde de ses propres mains. Quand je l'ai retrouvée, à l'âge de vingt-quatre ans, dans l'autre Seachain, elle s'était fait rejetée maintes et maintes fois. J'avais été pris de pitié pour elle, la voyant le regard éteint, et j'ai pris la mauvaise décision. Au lieu de laisser les choses comme elles devaient l'être, je suis intervenu dans le cours des choses.

Je retins mon souffle, pas de fatigue mais d'abasourdissement, stupéfait de ses choix. D'après ce que j'avais compris chez les Élémentaires, ce qu'il avait fait revenait à un haut délit. Les Élémentaires étaient méconnus de tous parce qu'ils ne sont montraient au grand jamais aux yeux du monde. Jamais aucun d'eux n'avaient eu ne serait-ce que l'ombre de cette idée et voilà que cet aigle de puissance et de fils lumineux décidait cela sur un coup de tête.

En fronçant les sourcils, j'essayai de lui montrer mon air le plus froid et le plus décevant pour montrer toute mon amertume envers lui. Connaissant ses erreurs, Mistral reprit en soupirant.

     - Je t'avais prévenue que tu n'aimerais pas du tout ce que j'allais te raconter. Alors pour reprendre, si cela en vaut la peine, je me suis découvert aux yeux de Amber.  

     - Sous ta forme d'aigle lumineux à l'aura écrasante ? demandai-je en haussant un sourcil.

     - Mmm... oui, je sais, c'était une mauvaise idée. Bref, avant qu'elle ne s'effraie en ma présence, je lui ai expliquée que je ne lui voulais aucun mal et que je voulais juste l'aider. Je voulais lui donner un chance de s'en sortir, de vivre sans sa haine, alors je lui ai accordé une faveur. Amber, qui ne s'est pas longtemps attardée sur mon identité, avait sûrement senti ma puissante aura mais elle avait surtout comprit ce qu'elle pouvait en tirer. Je pensai que la jeune sorcière qu'elle était me demanderait peut-être de retrouver sa mère ou d'avoir un coin tranquille où vivre avec les humains, mais la petite Amber s'était changée en vipère au fil des années. Sans hésitation, elle m'a demandé une arme permettant de contrôler quiconque elle toucherait. L'étincelle guerrière et sanguinaire s'était rallumée dans ses iris.

     - Et tu lui as donné la Brume Ambrée comme ça ? Sans contrepartie ?

     - Non, je n'étais pas fou à ce point là, répondit l'Élémentaire d'Air. Je te rappelle que le rôle des Élémentaires consiste à garder la paix et la justice dans Seachain. Mais je ne pouvais pas me libérer de sa demande, lui ayant accordé cette faveur, alors j'ai posé une condition. Je lui ai prédis que si elle avait ce pouvoir, elle mourrait à l'âge de vingt-cinq ans, ce qui représentait une année à vivre encore. Amber a accepté l'offre et je lui ai donné la Brume Ambrée. Même si elle parvenait à assouvir Seachain, elle ne pourrait pas rester au pouvoir, c'est ce que j'avais pensé. Amber représentait à merveille toute la haine et la colère que ressentait chaque humain au plus profond de leurs cœurs pour l'injustice de leur clan. J'espérai que les autres clans le remarqueraient après la mort de Amber mais rien n'a changé après celle-ci.

     - Mais Amber n'est pas morte ! Elle avait été emprisonnée vivante dans un arbre de pierre après un combat avec son père sur la Plaine Fusion !

Mistral me dévisagea un instant en entendant mes mots avant de se rassurer.

     - Oui, elle a été battue par le roi puis enfermée. Cela revient à ma condition, elle est bien morte à ses vingt-cinq ans. Elle avait perdu quasiment toute son énergie vitale, l'enfermer ne servait rien, elle est morte dans tous les cas.

     - Non, Amber n'est pas morte ! hurlai-je à plein poumons. Elle est de retour sur Seachain !

Cette fois-ci, Mistral fut stupéfait d'entendre cela. Il tourna à nouveau la tête vers moi, ses fils lumineux se tordant nerveusement. Je lui expliquais alors.

     - L'arbre de pierre n'a pas réussi à la retenir infiniment ! Ça a été la pire idée de l'enfermer vivante au lieu de l'achever ! Elle a anticipé sa mort et a lancé un sort pour préserver son esprit tandis que l'arbre de pierre se chargeait de son corps physique ! Pendant toutes ces années, elle essayait de se délivrer et de revenir ! Et c'est à cause d'elle que je suis devenue une âme errante ! Elle a réussi à voler mon énergie...

Je sentis mes forces s'évanouir et ma voix se bloquer dans ma gorge. Depuis que j'avais reçu cette espèce de sensation de feu intérieur sur la Plaine Fusion, je n'avais plus fait attention à ma fatigue puis l'avait momentanément oubliée mais celle-ci revenait dangereusement. Je me sentis soudainement dépouillée de la moindre force, comme le feu en moi subitement disparu.

Avant que dire un mot, mes paupières tombèrent lourdement et je perdis conscience.

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