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20 Décembre. 18H13.

Siège du Groupe Bilderberg.

Leyde, Pays-Bas.




L'amphithéâtre était désert. Habituellement, lors de réunions officielles, la salle accueillait une centaine de personnes, mais pas aujourd'hui.

Les murs sombres, les sièges en cuir noir, l'absence de fenêtres et de décoration apportaient une ambiance terrifiante et sinistre bien qu'il y ait ces incroyables lustres aux formes design qui descendaient du plafond en inondant l'espace d'une lumière tamisée. Tout autour de la pièce, des bahuts en bois laqués noirâtres supportaient d'épais ouvrages vieillis par le temps. Sur le plateau de ces bahuts, soigneusement taillés sur mesure, étaient représentées des sculptures en verre révélant les armoiries de grandes familles. Du coup, les lieux devenaient cossus et chics. L'odeur des cuirs, du malt et des fragrances de cigares cubains, laissait penser à l'intérieur discret d'un club-house haut de gamme. Au centre de la salle, positionné face aux rangées de sièges, s'imposait un large bureau en inox brossé. Une pièce métallique de belle manufacture, et soigneusement lustrée.

Assis sur les sièges du premier rang, trois individus d'un âge avancé, des quinquagénaires repentis, enveloppés dans des costumes à quatre ou cinq mille dollars exposaient Rolex, bagues en or, et fumaient des barreaux de chaise en provenance directe de la Havane. L'un d'eux, le teint blafard et le faciès sec et sévère ne tentait plus de masquer son rigide accent allemand. Un second, très maniéré affirmait volontiers son éducation au sein des meilleurs cercles londoniens. Quant au troisième, un frenchy en provenance directe de Paris semblait réservé et timide. Tous les trois écoutaient attentivement les explications d'un quatrième homme assis sur le rebord du bureau métallique.

Le Président a décrété le passage en DEFCON 3, comme nous le lui avons suggéré.Il n'a pas posé de questions ? demanda le Germanique confortablement installé dans son siège.Depuis quand décide t-il de ce qu'il doit faire ? Il est déjà bien heureux qu'on ait participé à son élection.Et comment croyez-vous que nos gars vont pouvoir déplacer le sarcophage maintenant ? interrogea l'Anglais.Je me suis occupé des détails.C'est déjà ce que vous nous aviez confirmé avant l'irradiation.J'en conviens. Mais nous n'étions pas en train de chercher des œufs de Pâques dans le jardin de grand-mère. Nous savions que tout pouvait se produire, même le pire, et ce, malgré toutes nos prises de précaution. Dois-je vous rappeler depuis quand cela se trouvait sous terre ?

L'homme semblait embarrassé de devoir rendre des comptes suite à un échec cuisant. Un grand nombre de leurs hommes de main s'étaient effectivement retrouvés irradiés suite à une exposition trop longue à une source d'émanations mortelles.

Que faisons-nous du FBI ? réclama le Français d'une voix fluette. Ne vont-ils pas nous mettre des bâtons dans les roues ? Et ont-ils des chances de contrecarrer nos plans ?Aucune chance. Il ont mis un certain King sur l'affaire, c'est un bleu sans expérience. Si jamais il s'avérait qu'il mette son nez où il ne devrait pas, nous nous occuperions de lui. Mais chaque chose en son temps, ne nous laissons pas distraire. Et il n'est pas impossible que le jeune King puisse se révéler être une pièce maîtresse de notre échiquier.Combien de temps croyez-vous qu'il soit nécessaire de maintenir l'alerte ?Trois, peut-être quatre jours. Il faut que nous soyons en phase avec le discours du Président lorsqu'il s'adressera à la nation le 24 au soir. Car, dans le cas contraire, il lui faudrait expliquer les raisons d'une telle mesure auprès des médias, et c'est inenvisageable compte-tenu des éventuelles répercutions. Si tout se déroule comme prévu, le sarcophage devrait être à l'abri d'ici très peu de temps. J'ai conscience des sacrifices et des contraintes que de telles dispositions puissent susciter pour vos affaires commerciales mais vous savez aussi bien que moi qu'il nous est impossible de nous détourner de notre but.Hum ! Ce n'est pas le business qui est menacé mais la vérité, insista le Britannique, ce qui est bien pire encore. Et comment êtes-vous sûr que ce King ne fera pas de vagues ou de conneries ?Parce que j'ai un contact au FBI.Quelqu'un de fiable ?Disons qu'il est loyal et qu'il fera ce qu'il faut lorsque je le lui ordonnerai.Je vous rappelle que nos familles ont scellé un pacte de fidélité il y a plus de cinquante ans pour maintenir l'équilibre des pensées. La sauvegarde de la vérité est la constante essentielle qui récompense tant d'efforts, sans parler des milliards investis pour maintenir l'ordre sur la planète. Et vous savez tout comme moi que nous ne devons pas faillir à notre tâche. La survie de notre civilisation en dépend.

Un épais nuage de fumée prenait progressivement possession des lieux. Les détecteurs de fumée pouvaient se déclencher à tout moment mais visiblement ce détail ne semblait pas émouvoir ces invités. Braver les lois et les interdits était apparemment une seconde nature pour ce quatuor insolite.

Il nous faut aussi discuter de la prochaine réunion annuelle. Qui devons-nous inviter ? Demanda le Germanique.Gardez en vue que nous disposons désormais des finances, du pouvoir, des moyens technologiques et des médias. Il nous faut maintenant orchestrer la phase finale. Trouvez-nous des généticiens, des spécialistes en maladies infectieuses et d'éminents praticiens du corps médical. Nous disposons de nos chercheurs, mais il faut désormais agrandir le cercle en compétences médicales et pharmaceutiques.Lorsque nous avons créé ce Groupe, je ne croyais pas que nous serions allés si loin, exprima le Français qui n'arrivait plus à contenir son angoisse. Sommes-nous obligés de poursuivre cette voie ?Nous sommes engagés dans une guerre sans précédent. Avez-vous vu ce que ce projet a déjà fait de nous ? Nous ne pouvons plus reculer.Mais nous avons déjà tout le sang de ces victimes sur les mains, irradiés subitement et destinés à une sombre et douloureuse mort. Qu'est-ce que nous avons fait, finit-il par dire en masquant définitivement sa bouche avec la paume de sa main.

La peur se lisait sur son visage. Sans qu'il ne s'en rende compte, ses genoux s'entrechoquaient dans une danse incontrôlable de tremblements nerveux.

Lorsque nous avons repris le projet de nos pères, nous savions qu'il y aurait tôt ou tard des victimes, des dommages collatéraux. Ce sont des victimes de guerre. Si je le pouvais, je leur donnerais une médaille. Il est hors de question de nous arrêter là. Nous sommes trop près du but.Nous aurions au moins pu tenter de les sauver ou de les soulager, s'indigna le britannique.Comment ? Avec quels moyens ? Cette force, cette énergie nous dépasse complètement, vous le savez aussi bien que moi bon sang, les dossiers sont suffisamment détaillés, non ? S'énerva l'orateur au charisme éloquent.Que Dieu ait pitié de nos âmes.Je vous précise que c'est Dieu en personne qui a fait ce que nous sommes. C'est lui aussi qui nous a légué ce poison et qui a tué ces pauvres gars.

Chacun des quatre interlocuteurs baissèrent la tête, comme s'ils s'apprêtaient à faire une prière. Ils étaient simplement en effroi avec ce que leur rappelait l'Américain qui les guidait.

Notre organisation doit rester secrète. Le Groupe frise la tolérance zéro avec la prise de risque, c'est ainsi depuis plus de soixante ans, et ce n'est pas prêt de changer. Ce que nous faisons en marge de toute règle, de toute loi, de tout fondement, c'est le prix à payer pour sauver le maximum de nos concitoyens. La survie de l'humanité est en jeu.

L'Américain interrompit la conversation et convia ses camarades à sortir de l'amphithéâtre. Ils prirent des chemins différents et disparurent dans les labyrinthes du bâtiment. L'un deux sortit du vaste édifice et s'engouffra dans une longue limousine noire aux vitres fumées. L'impressionnant véhicule démarra en trombe. Il portait des plaques officielles diplomatiques. Sur le capot, flottait un fanion distinctif révélant son appartenance à l'ONU.


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