LXXII

2 0 0
                                    

24 Décembre. 02H48.

Sibley Memorial Hospital.

5255 Loughboro Road. Washington D.C.




King avait profité de quelques instants sur le chemin du retour pour s'assoupir et se ressourcer. Son sommeil restait agité. Perturbé par des rêves qui le renvoyaient systématiquement à tout ce qui s'était présenté à lui ces derniers jours, il se concentrait à écarter ces images néfastes pour revenir à des représentations plus douces. Le visage de Délinda Cross surgissait régulièrement dans son imaginaire fantasque. Lui avait-il tapé dans l'oeil ?

Serais-je sous l'objet d'un coup de foudre ? S'interrogea t-il.

Il n'en savait rien, et ne voulait pas véritablement le savoir. En revanche, il ne pouvait pas nier qu'elle ne l'avait pas laissé indifférent. Tout en lui le poussait à s'inquiéter pour Cross.

Il avait organisé son retour par Washington, histoire de rendre visite à sa camarade d'armes, et aussi dans l'espoir d'être soulagé sur l'état de santé de cette dernière.

La démarche dynamique et le pas assuré, il traversait les couloirs de l'immense bâtiment avec la rage de se retrouver au plus vite près de celle qui faisait vaciller son cœur.

Cinq minutes plus tard, il rencontrait le toubib qui s'était occupé d'elle. Le médecin était accompagné d'un expert en virologie du bureau local du CDC. Ensemble, ils se rendirent jusque dans le bureau personnel du praticien, à quelques pas de là.

Les murs étaient d'un blanc immaculé, la décoration sommaire et des ouvrages médicaux envahissaient les étagères. L'ambiance était austère et glaciale, comme dans n'importe quel bureau médical.

Qu'est-ce que je peux détester ces endroits, réfléchit King. Ils pourraient faire un effort pour rendre ces lieux plus accueillants et conviviaux.

Alors ! Comment va-t-elle ? Réclama t-il.Fort bien, affirma le médecin tout en affichant un regard apaisé. Jugez par vous-même.

Le médecin généraliste se leva, contourna King et se rendit au fond de la pièce. Il appuya sur un bouton qui commanda un volet roulant, libérant une vitre qui permettait une vision sur une salle de consultation adjacente. Au fur et à mesure que le rideau mécanisé se levait, l'agent du FBI découvrait l'intérieur de cette pièce dérobée. Le pouls de King s'accéléra, sa gorge se serra, ses pupilles se dilatèrent, jusqu'à ce que tous ses sens se relâchent à la reconnaissance du visage radieux de Delinda Cross. Elle était assise sur un brancard et paraissait en pleine forme. Il ne comprenait pas. Roberts l'avait prévenu quelques heures plus tôt qu'elle était dans un profond coma.

Je croyais que [...]Nous avons craint le pire, en effet. Elle nous a fait une surprenante crise, puis est tombée dans un coma superficiel. Une heure après, elle est revenue parmi nous. Je dois reconnaître que je n'ai jamais vu un cas aussi surprenant.Que lui faites-vous ? Réclama King tout en scrutant sa protégée à travers la vitre.Quelques prélèvements, intervint le virologue. Nous allons analyser ce qui aurait bien pu produire les phénomènes métaboliques desquels nous avons été témoins. Mais les résultats des premières analyses nous confirment qu'elle n'est pas porteuse d'une menace virale. Reste à savoir s'il ne s'agit pas d'un facteur génétique rare, une sorte de modification subite de son schéma ADN.

Ils lui racontèrent alors, et avec précision, ce à quoi ils avaient été confrontés : les arrêts cardiaques à répétition, les convulsions, la fièvre, les modifications morphologiques, ses escarres sur l'abdomen et cette plongée dans le coma. Leur discour semblait effrayant, a contrario de ce que pouvait actuellement constater King de ses yeux. Pourtant, eux, professionnels de santé, restaient d'un tempérament plutôt encourageant, comme si tout cela était naturel et fréquent. Ils lui expliquèrent que, malgré quelques plaies qu'il faudrait soigner, l'état de santé de Cross était rassurant, du fait d'être revenu à la normalité.

Nous avons écarté tous risques épidémiologiques, qu'il puisse s'agir d'un virus ou d'une contamination bactériologique. D'ailleurs, le seul point qu'on ait pu observer, c'est qu'elle présente un taux important d'oestrogènes qui pourrait expliquer une réaction corporelle inexplicable.Comment cela inexplicable ? Vous ne savez pas ce qu'elle a eu ?

Les deux spécialistes en médecine échangèrent un regard.

La science et la médecine ne peuvent pas tout expliquer. Ce qui importe, c'est que cette manifestation, qu'on qualifiera d'allergique, a disparu comme elle est apparue. Nous n'avons pas d'explications rationnelles à fournir. C'est le genre de phénomènes qui rend le corps humain si complexe et aussi énigmatique.

King était bien placé pour savoir que tout ne s'expliquait pas dans ce bas monde.

Combien de temps allez-vous la garder ?Comme je vous disais, hormis quelques bobos à guérir, et une belle peur, elle va très bien et elle sera prête à sortir dès que nous aurons terminer de prélever tout ce dont nous avons besoin.Vous la laissez sortir dès maintenant ?On ne va tout de même pas la retenir contre son gré.Mais [...]Oui, c'est à sa demande que nous la libérons. Elle a déjà signé toutes les décharges. Et vu que son état n'a plus rien d'alarmant, pourquoi la confiner ici. Je ne vous cache pas qu'il faudra la surveiller durant les deux prochains jours car son corps a subi un choc qui peut avoir entraîné une fatigue inhabituelle.Ne vous inquiétez pas, je veillerai personnellement sur elle.

Après avoir rempli quelques formalités et une décharge pour autoriser la sortie de sa coéquipière, il fut autorisé à pénétrer dans la pièce d'examen.

Dès son entrée, il vit son large sourire. Ils se trouvaient, l'un et l'autre, dans des circonstances différentes, soulagés et content de se retrouver. Cross présentait des traces prononcées d'un affaiblissement des fonctions vitales, pourtant ses yeux et son sourire ne réclamaient qu'une seule et unique chose. Agent King, sortez-moi de là.

Son auscultation terminée, elle s'habilla et son chef de section put la raccompagner en-dehors de cet univers stérile.

C'est alors seulement que King se débarrassa de quelques mots qui pesaient au fond de sa gorge.

J'ai vraiment eu peur de vous perdre Délinda.


Je présume que vous connaissez la position du Bureau concernant les relations intimes entre agents.Oui Madame. Mais compte-tenu de ce que nous avions vécu ces derniers jours, j'estime que les règles du Bureau peuvent parfois être écorchées pour laisser place à nos simples pulsions sentimentales. Car, malgré tout le respect que je vous dois, je suis convaincu que ces sentiments participent à faire de nous des êtres meilleurs. Et cette situation ne compromet pas mon professionnalisme et mon engagement pour le Bureau et ma Patrie.Il n'est pas question de remettre votre engagement en cause. Mais vous conviendrez d'admettre que Delinda Cross est la fille d'un des fondateurs du groupe Bilderberg. C'est donc sa légitimité et son implication dans toute cette histoire qui peuvent impacter votre jugement.Si vous pensez cela, c'est que vous ne me connaissez pas. Et de toute évidence, vous ne connaissez pas non plus Mademoiselle Cross.




MASTERS OF THE MANOù les histoires vivent. Découvrez maintenant