MASTERS OF THE MAN

XXXXIV

De retour auprès de Beckenbauer, King s'intéressa à ce qu'il lui avait suggéré quelque minutes plus tôt au sujet de Kaufman. La jeune archéologue, élève de Winter, s'était-elle juste attachée à rechercher cet ustensile que des êtres célestes auraient abandonné derrière eux, ou bien Dantes avait-il induit ses recherches dans une direction précise ? L'avait-il conduite à se dépasser et à trouver l'endroit secret où cette preuve puisse se trouver ? Ou encore, d'imprudents archéologues en herbe avaient peut-être découvert ce minerai ? Le manque de précautions leurs ayant coûté la vie. Mais avec tant de personnes obsédées par cette découverte sensationnelle, comment se faisait-il que certaines, comme Kaufman, aient pu mettre la main dessus ? Par quels chemins arpentés la jeune femme avait-elle obtenu les réponses pour situer géographiquement l'endroit de stockage d'une telle arme. Par ailleurs, était-ce un armement de destruction massive, ou bien, comme le suggérait Winter et ses adeptes, la matière première d'une machine beaucoup plus complexe ayant permis la fonte des roches et la réalisation de tant de monuments en pierre ?

Vous connaissiez Johanna Kaufman ?Pas plus que cela. Il m'est arrivé de la rencontrer une ou deux fois lors de séminaires faisant état de thèses archéologiques. Mais nous n'étions pas intimes si c'est ce que vous sous-entendez.Pourtant ce n'est pas l'impression que vous m'avez donné.Jo, [...] Johanna est comme une enfant. A chaque fois qu'elle fait une découverte, on a l'impression qu'elle vient d'ouvrir un cadeau, un matin de Noël. La première fois que nous nous sommes vus, elle m'a dit une phrase que je n'ai jamais oubliée : « Nous ne sommes pas prêts à entendre la vérité, pourtant il nous suffit de la voir, car tout est déjà écrit depuis l'aube des temps ». Je crois qu'elle avait raison. Peut-être sommes-nous trop introvertis ?A propos de quel sujet ? Qu'entendait-elle par tout est déjà écrit ? Nos ancêtres nous ont laissé une mine d'indices et de renseignements que nous ne sommes pas capables de comprendre, à cause de nos préjugés. Alors que les hommes se rattachent à des textes religieux et liturgiques en se convainquant qu'il s'agit de textes sacrés, il nous faut les aborder avec une approche différente et nous ouvrir à une vérité qui n'est pas forcément plaisante.Sous-entendez-vous que les écrits religieux ne soient pas aussi sacrés que l'on puisse le prétendre ?Bien sûr que si, je ne me permettrais jamais de remettre en question la notion du sacré absolu, mais nous devons voir plus loin que ce qui nous est enseigné. Ces ouvrages ne sont pas seulement une inspiration spirituelle, ce sont avant tout des livres d'histoire, les fondements de l'histoire de l'humanité. Il ne suffit plus de lire ces textes ou de les chanter, il faut aussi en comprendre le sens profond en se positionnant dans les mêmes conditions auxquelles étaient confrontés ces auteurs, qu'ils soient narrateurs, prophètes, demi-dieux, ou Tout Puissants. Ces documents ne sont pas uniquement sacrés parce qu'un individu a décidé qu'il en serait ainsi. Non, ils le sont parce qu'ils nous enseignent les paroles dictées par les dieux. Et j'insiste sur cette notion de dieux au pluriel, qu'ils soient Anunaki, Elohim, Yahvé, Jéhovah, Dieu, Allah, Brahma ou Krishna. Tous ces dieux à la fois si différents et si uniques, ne forment en finalité qu'une seule et indivisible étoile, montrant le chemin de la spiritualité à des millions d'êtres humains. Mais sont-ils si différents de chacun d'entre nous ? La question à se poser, c'est pourquoi les Néfilim ont tant insisté pour nous inculquer des valeurs à suivre ? Qu'attendaient-ils de nous ? Pourquoi nous mettre sur leurs traces, laissant derrière eux de minuscules cailloux ? Et après, nous avoir fourni des enseignements technologiques, scientifiques, artistiques, religieux, pourquoi nous avoir abandonnés ?Je n'aurais aucune réponse à toutes ces questions, malheureusement.Je suis persuadé que Johanna trouverait ces réponses.Elle est si douée que cela ?Lorsque vous discutez avec elle, vous sentez combien elle est investie dans sa quête. Son cœur et son esprit ne font plus qu'un. Je sais que c'est déroutant à entendre et à accepter, pourtant c'est véridique.Et vous n'auriez pas une idée où elle pourrait se trouver ?Non, mais je ne serais pas surpris d'apprendre qu'elle est entrée en contact avec Martinez.Pourquoi aurait-elle cherché à le rencontrer ?Elle était suffisamment proche de Winter pour avoir connaissance des personnes envers qui il aurait confiance pour poursuivre ses investigations autour de ces visiteurs. Et connaissant son goût pour l'étude de ces écrits sacrés, je suppose qu'elle l'a mis en situation pour démanteler ce qui était raconté dans certains livres bibliques, et plus particulièrement au cœur de ces ouvrages dit apocryphes. Pour elle, tout ce qui est caché dissimule toujours des vérités inavouables. Et comme je vous le disais, elle restait convaincue que tout est déjà écrit.

King lui présenta le vers traduit à partir des écrits de Kaufman laissés dans ses carnets d'étude. Il lui réclama son opinion, mais Dantes ne saisit pas toute la tournure du texte. Ce qui ne l'étonna guère fut le style, très équivoque et cabalistique. Pour lui, la jeune femme s'amuserait à dissimuler des vérités au cœur même d'une vérité. Ce qu'il affirma en revanche, c'est ce désir insidieux de savoir qui, selon lui, apporterait son lot de malheurs. Il mit le flic en garde sur la maîtrise du savoir et de la vérité.

Comme je l'ai souvent mentionné auprès de Winter, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Johanna en avait bien conscience. Je crois qu'avant d'effectuer ses recherches pour la communauté scientifique, elle le faisait avant tout pour elle-même. La démarche de son mentor est bien différente, lui n'attend que la postérité. Dissimulé derrière ses airs de grands scientifiques perché au-dessus du commun des mortels avec sa grandeur d'ouverture d'esprit, c'est la cupidité qui motive Winter.Bien, j'en prends bonne note. Après tout, un homme averti en vaut deux. Auriez-vous autre chose à rajouter ?Qu'est donc devenu Gulliver ?Nous pensons savoir où il se planque.Je n'ai jamais compris pourquoi Winter avait fait appel à lui. Ce type est si étrange, toujours dans son coin, apeuré. Winter nous l'a présenté en disant qu'il connaissait les gardiens du savoir. Je n'ai jamais compris ce que cela voulait dire. Surtout que ce type n'est pas un scientifique, c'est tout juste un blogueur qui s'évertue à imaginer qu'un complot planétaire manipule la population dans le but d'intérêts dissimulés. Ce gars a un sérieux problème.

King ne souleva pas cette réflexion. Il est vrai que Gulliver n'avait rien d'un individu psychologiquement équilibré mais le spécialiste en fouilles archéologiques n'avait pas fait appel à lui par hasard. Winter ne donnait pas l'image d'une personne s'embarrassant d'individus suspects, autrement dit, il devait bien trouver un certain intérêt à collaborer avec ce paranoïaque. Il était peut-être temps de s'entretenir avec lui.