MASTERS OF THE MAN

LXI

King ne croyait plus ce qu'on lui dictait. Il n'en avait plus la force. Tout devenait à la fois flou, tout en étant parfaitement clair. Wagner, en grand professeur universitaire, veillait à ce qu'il ne perde pas le fil de l'histoire. Malgré son enthousiasme débordant, il restait attentif à ce qu'il assimile toutes les données. Son besoin irrépressible de communiquer son savoir débordait outre son discours et s'emparait de lui, se traduisant dans son comportement et sa gestuelle. Il tenait à lui annoncer un maximum de vérités en un minimum de temps, car il savait que le temps jouait contre eux.

Certes, il aurait pu simplement lui dire dans quelle direction ou bien vers quel endroit il avait aiguillé Johanna Kaufman, mais il n'aurait pas eu le plaisir de cette transmission intellectuelle et culturelle. De plus, sans cette dynamique, et en l'absence d'un schéma précis, la valeur des informations rapportées aurait perdu de son sens.

Courage, pensa le flic. Tu finiras bien par avoir toutes les pièces pour constituer et rassembler ce puzzle infernal.

Mais ses pensées ne trouvaient pas de réponses, Wagner ne lui en laissait pas le temps.

Il existe dans les archives du Vatican un document qui atteste la fuite d'une poignée de Templiers, la veille de l'arrestation des fidèles et du grand maître. Il y est question d'un convoi d'une cinquantaine de cavaliers emportant avec eux une cargaison mystérieuse. Je ne vous cache pas que nombre d'historiens ont polémiqué autour de ce convoi secret. Certains, tels que moi, ont soumis l'hypothèse qu'il puisse s'agir DU Trésor. Jean 1er de Châlon-Arlayi, qui rapporte dans ces écrits cette fuite, stipule que des notables, Gérard de Villiersii et Hugues de Châlon-Arlayiii, auraient quitté Paris avec trois chariots de paille dissimulant le trésor des Templiers, et pris la direction d'un port pour se réfugier à l'étranger. De plus, ce qui est véridique, c'est que la veille des arrestations une flotte maritime de dix-huit navires siégeait au port de La Rochelle et qu'elles ont disparu dès le lendemain. On ne vit plus jamais ces bateaux. Et cette version peut être authentifiée ?

Le scepticisme du traqueur prenait à nouveau le dessus. Son esprit cartésien remettant toujours en doute les éléments évoqués allait-il finir par offenser l'historien ? Il devait se faire violence pour lui faire confiance et accepter que ce qui lui était livré était le résultat de nombreuses années de recherches minutieuses.

Elle reste contestable. Mais jamais le Vatican et la papauté, ni même le roi de France, n'ont fait état d'une saisie spectaculaire qui leur rendrait leur légitimité en tant que possesseur de la toute puissance. Ce document, même s'il fut attaqué par des historiens peu scrupuleux, reste la meilleure piste concernant la quête de l'Arche d'Alliance. A vrai dire, c'est d'ailleurs la seule piste viable à ce jour.Ils se sont donc enfuis avec le magot. Et où l'auraient-ils camouflé ?Certaines théories laissent supposer qu'ils l'auraient dissimulé dans le château de Gisorsiv qui se trouve justement au Nord de Paris. Mais cette hypothèse est à écarter immédiatement.Pourquoi ?Parce que, bien que Jacques de Molay et de nombreux de ses camarades d'arme y furent prisonniers, le château de Givors n'a jamais été une commanderie templière. Le domaine, à l'époque, appartenait au roi Philippe Le Bel et était gardé par plusieurs garnisons de soldats. Aussi, pourquoi cacher un précieux trésor dans la gueule du loup ?C'est pas bête. A moins qu'ils n'aient joué un tour de magie et laissé les soldats du roi chercher quelque chose qu'ils avaient dissimulé chez eux.C'est une éventualité, mais j'en doute. Non, le plus probable, c'est qu'ils soient partis d'un port de Normandie pour rejoindre l'Ecosse.Mais pourquoi l'Ecosse, ils pouvaient se rendre directement en Angleterre, qui était plus près.Ils avaient déjà des commanderies en Angleterre, qui existent toujours comme par exemple Temple Churchv. Les Templiers étaient très présents sur les terres anglaises notamment à Londres. Mais, bien que le roi anglais Edouard IIvi refusait de croire aux accusations dont ils faisaient l'objet, ils se trouvaient néanmoins sur un territoire en prise à l'influence papale et soumis à des arrestations et aux interrogatoires de l'Inquisition. Non. Il leur fallait se restructurer, je vous rappelle que le grand maître et ses seconds étaient emprisonnés. L'Ecosse devenait une évidence pour un exil serein.