— H —Est-ce que le fait d'entrevoir le réel Hayden Reed l'a rebuté ? Je ne saurais expliquer pourquoi, mais j'ai ressenti le besoin de tirer les choses au clair. C'est pourquoi, malgré le fait qu'elle ait ignoré mes appels, j'ai décidé de me rendre chez elle, même si cela signifiait creuser ma propre tombe. Stella ne s'en sortira pas indemne. Tôt ou tard, je découvrirai la teneur de leur conversation. Quant à Aaron... Je lâche la pression que j'exerce sur la manette de gaz, à défaut de terminer dans un mur. Je sais que je suis un personnage complexe, souvent difficile à suivre, mais que dire de cette petite ballerine ? Elle ne me facilite pas la tâche. L'alchimie qui opère entre nous n'est pas simplement le fruit de mon imagination, et ce soir en est une nouvelle preuve. Peut-être suis-je devenu fou, mais je sens comme de l'électricité qui vibre entre nous. Chaque fois que je pose les yeux sur elle, je m'envole à des kilomètres, bien que mes pieds soient ancrés dans le sol. En sa présence, je me sens le plus impuissant et le plus idiot de tous les hommes de cette planète. C'est un sentiment étrange, mais curieusement je réalise qu'il ne me dérange plus autant que lors de nos premiers échanges. Je ne suis pas certain d'avoir déjà été autant intrigué par une femme... pas même Judith. Ce constat déchirant m'effraie et même si je le voulais, je ne saurais pas par où commencer avec la ballerine. Tout ce que je sais, c'est que je n'en ai pas terminé avec elle et peut-être ne pourrai-je jamais en finir avec elle, en réalité... Mais elle a encore tant à accomplir et je suis conscient que je ne pourrai pas puiser à l'infini dans son énergie. Nos joutes verbales et sa manie détestable de refuser toute aide de ma part ont pris racine au plus profond de moi, au point où j'en viens à apprécier ces émotions contradictoires qu'elle fait naître en moi. C'est la première fois qu'une femme parvient à bouleverser à ce point mon cerveau et ma vie, mais au lieu de lui en tenir rigueur, je lui en suis étrangement reconnaissant. Elle a cette capacité folle de pulvériser mes barrières en un battement de cils. Elle-même est un mélange de tous les combustibles les plus inflammables qui existent. Reste à savoir si l'allumette que je suis demeurera tranquille assez longtemps pour voir où tout cela nous mènera. Je me demande ce qu'elle penserait si elle venait à apprendre que j'étais déjà au courant de la sélection de son profil par la Juilliard. Que dirait-elle si elle découvrait que c'est précisément pour cette raison que je l'ai invitée chez moi la première fois ? Cette fameuse soirée où j'ai décelé pour la première fois une véritable lueur d'irritation dans ses yeux lorsque j'ai dérobé son téléphone portable. Un sourire fugace se dessine sur mes lèvres, mais s'évanouit aussitôt. Bien que je m'efforce de me convaincre que mes recherches sur elle n'avaient pour but que de me protéger, il n'en reste pas moins que j'ai un goût amer en bouche à cette pensée. Elle ne saura probablement jamais que je suis dérangé au point de m'introduire dans la vie privée des autres sans leur consentement. Le fait que je ne pense plus à rien quand je suis près d'elle n'excusera en rien mes actes si un jour elle venait à l'apprendre. Mais c'est pourtant vrai ! Plus rien ne semble avoir d'importance lorsque nous entrons en collision. Ni mes obligations professionnelles qui, d'ordinaire, me collent à la peau sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ni Stella, ni l'agent Nickson et son enquête en cours, ni même Aaron et ses manigances écœurantes ne parviennent à détourner mon attention. Je ne vois plus qu'elle, son regard, ses expressions, la courbe de ses lèvres, sa voix, son agaçante manie de me contredire, la lueur de défi dans ses yeux... juste elle. Depuis Judith, je n'ai jamais plus cherché l'exclusivité, mais je viens pourtant de conclure un accord qui m'y oblige et je ne sais pas comment composer avec cette nouvelle donnée. La ballerine a réussi à piquer ma curiosité à vif et elle a changé les règles du jeu sans même s'en rendre compte.
***
Ces derniers jours, j'ai réussi à maîtriser l'adolescent prépubère qui semble s'être emparé de moi depuis ma rencontre avec Angelina Carter. Je me suis immergé corps et âme dans le travail pour ne pas songer à elle, et j'ai résolument maintenu ma promesse de ne pas la contacter. Elle aspire à de l'espace, et je suis déterminé à le lui accorder. Je suis conscient des enjeux et la petite ballerine, à ma grande surprise, gagne de plus en plus mon respect. Elle a une ligne conductrice et ne souhaite pas s'en éloigner tant qu'elle n'aura pas atteint son but et je trouve cela fort louable.
Comme si mes pensées l'avaient invoquée, son nom s'affiche sur l'écran de mon téléphone. Sans prendre congé de mes collaborateurs en réunion, je m'éclipse pour répondre à l'appel.— Bonjour Angelina.
À voir l'expression de surprise qui tord les traits de l'une de mes assistantes, je conclus que ma voix a été bien plus douce que d'habitude.
— Bonjour Hayden.
La façon dont elle prononce mon prénom m'envoûte. M'y habituerais-je un jour ?
— As-tu passé ton examen ?
Je connais déjà la réponse, mais je dois lui poser la question si je ne veux pas paraître... pour ce que je suis.
— Non pas encore.
— Que me vaut donc ce plaisir ?
— J'ai une question.
— Je t'écoute.
— Je m'adresse au PDG de l'une des entreprises les plus prospères du pays, pas à un obsédé sexuel.
Contre toute attente, j'éclate de rire. Elle a pris des libertés avec moi depuis notre dernier échange et ce n'est pas pour me déplaire. Je croise le regard non pas d'une, mais de deux assistantes, dont les yeux sont sur le point de sortir de leurs orbites. Il serait stupide de les réprimander pour si peu, alors je choisis de m'isoler.
— Un instant, je te prie.
Je me réfugie dans mon bureau avant de reprendre la conversation.
— Angelina évite de flatter mon ego et de t'en plaindre après.
— Quel conseil donnerais-tu à quelqu'un... à quelqu'un... hésite-t-elle.
— À quelqu'un ? je l'encourage à continuer.
J'entends qu'elle prend une grande inspiration avant de parler aussi vite qu'un train à grande vitesse.
— Que devrais-je faire pour ne pas échouer ?
Je suis un peu surpris par sa question, mais je décide de lui répondre honnêtement.
— Je n'en ai aucune idée, désolé.
— Ah...
Je sens que ma réponse la déçoit, mais c'est la vérité. La réussite n'a pas de formule magique. J'y suis parvenu grâce au travail et à mon acharnement sans faille. Je ne me suis permis aucune distraction avant d'arriver au sommet, mais je ne peux pas lui avouer cela. Ce serait comme me tirer une balle dans le pied.
— La défaite fait partie intégrante de la réussite. J'ai appris à gérer la première afin qu'elle n'empiète pas sur la seconde.
— Et comment gère-t-on ça exactement ?
— Je serais ravi de te le dire en échange d'un dîner. Que penses-tu de ce soir chez moi, dix-neuf heures trente ?
— Hors de question ! Je pensais avoir été claire sur l'importance de mon examen.
— Il s'agit simplement d'un dîner, Angelina. Il n'est pas nécessaire de sortir les griffes pour le refuser. De plus, je te prie d'arrêter de croire que je ne sais pas me tenir. Cela en devient déplaisant ! Nous ferons donc à ta convenance. Bon courage pour ton examen.
Je m'apprête à couper la conversation quand elle m'interpelle en soupirant.
— Minute papillon !
— Oui ?
— Très bien, mais je te préviens si tu...
— Pas de menaces, je l'interromps grossièrement bien que je déteste ça. Je t'enverrai Ethan pour dix-neuf heures. À ce soir.
Je raccroche sans attendre sa réponse pour ne pas lui donner l'occasion de contrecarrer mes plans. Je retourne à ma réunion, mais j'ai du mal à me concentrer. Mon attention est focalisée sur la soirée à venir. Ai-je menti en lui disant que je sais me tenir ? Nous en aurons le cœur net dans quelques heures. Elle a déjà fait voler en éclats certaines de mes certitudes. Je ne serais pas surpris si cela se reproduisait.
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BALLERINA
RomanceAngelina Carter et Hayden Reed n'ont en apparence rien en commun, si ce n'est une détermination farouche à réaliser leurs rêves. Alors qu'elle ne vit que pour le ballet et qu'elle s'y abandonne corps et âme, il n'a de considération que pour l'empir...