• CHAPITRE VINGT-ET-UN •

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— H —

J'ai un sentiment inédit au fond de la gorge et je ne suis pas certain de cerner ce que cela peut bien être. Je dois dire que je n'ai pas particulièrement apprécié de la voir s'écraser pitoyablement au sol, mais cela dit je n'ai fait que respecter sa volonté... Il est vrai qu'en y songeant après coup ce n'était pas très élégant de ma part. Même si d'ordinaire je n'en ai que faire de ce que les gens peuvent bien penser de moi, je ne suis pas très fier de m'être comporté de la sorte. Lorsque Gabriele disparaît et qu'il nous laisse enfin seuls, la ballerine attrape la carte devant elle et se concentre dessus sans m'adresser le moindre regard. L'ambiance autour de nous est si festive dans le restaurant que le contraste avec notre situation actuelle me donne envie de sourire. Je lui laisse le temps de lire le menu au moins une dizaine de fois avant de rompre le silence.

— Le cadre te plaît-il ?

Son attention se porte enfin sur moi et je ne sais pas si c'est une bonne chose ou non finalement. Son expression est si furieuse et le vert de ses yeux si sombre que j'ai l'impression de me retrouver au cœur d'une forêt en pleine tempête.

— J'ai déjà répondu à cette question, me rétorque-t-elle les lèvres pincées.

— Pas à moi.

— Ma réponse ne sera pas différente pour autant.

— Pourquoi faut-il toujours que nos discussions se terminent en échauffourées ? je soupire.

— Vous plaisantez ? s'offusque-t-elle en reposant brusquement la carte sur la table.

— Non, j'essaie sincèrement de comprendre.

— J'ai bien saisi depuis notre première rencontre que les excuses n'étaient pas votre fort. Néanmoins, pour une fois vous auriez pu mettre de côté votre ego, qui a la taille d'un continent au passage, pour paraître ne serait-ce qu'un tant soit peu désolé de ne pas avoir esquissé le moindre geste pour me rattraper ! débite-t-elle en un temps record.

— Et pourtant je le suis. Je suis sincèrement navré que tu te sois senti embarrassé à cause de toi-même.

Lorenzo, le neveu de Gabriele s'approche pour prendre notre commande. Cette petite distraction arrive à point nommé, car avec cette réponse j'aurais pu terminer dans la rubrique faits-divers du journal demain matin. Je sais que ce n'est pas ce qu'elle aurait aimé entendre, mais elle peut toujours rêver pour que je lui présente des excuses.

— Monsieur Reed, quel plaisir ! Bonsoir Madame.

— Bonsoir, répondons-nous à l'unisson sur un ton identique.

— Avez-vous fait votre choix ? demande-t-il.

— Nous prendrons les Gnocchis alla romana, avec la meilleure bouteille de la cave de ton oncle et pour l'entrée une Stracciatella di bufala à la truffe à partager.

— Et pour les apéritifs ?

— Deux Negroni. Merci, Lorenzo.

— Très bien, je vous...

— Ce n'est pas croyable ! tempête la ballerine.

— Que se passe-t-il encore ?

— Ne vous en déplaise, j'ai une bouche.

— Oui... et ? je soupire.

— Qui vous a dit que c'était ce que je souhaitais manger ?

— Ce plat est excellent, c'est la spécialité du restaurant.

— Êtes-vous toujours aussi sûr de vous ? demande-t-elle à brûle-pourpoint.

— Oui.

Ses narines palpitent un moment avant qu'elle ne se reprenne en replaçant une mèche folle dans son chignon. Pourquoi diable est-elle en mode tigresse depuis que j'ai sonné à sa porte ? Alors oui, je l'ai peut-être éconduit de façon fort déplaisante, mais ne suis-je pas en train d'essayer de réparer mes torts ? Bien trop absorbé par le charme si singulier qui émane d'elle, je ne comprends pas son geste avant de voir Lorenzo de nouveau à notre table. Angelina...

BALLERINAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant