• CHAPITRE ONZE •

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— A —

Je fixe mon téléphone en déglutissant avec difficulté. Nous y sommes ! Les derniers jours se sont écoulés si rapidement que malgré mon stress croissant je n'ai pas fait attention au fait que la date approchait à grands pas. Ma respiration s'emballe et la panique me gagne en un temps record. Suis-je prête à le lire maintenant ? Je déverrouille mon appareil et je clique sur le courriel qui m'attend bien sagement, mais à la dernière seconde je prends peur et je le jette loin de moi. Mon cœur bat à tout rompre et mon esprit part dans tous les sens. Je suis encore plus ridicule que le jour de l'envoi de ma candidature. Autant arracher le pansement d'un coup ! Je récupère mon téléphone et j'essaie de faire abstraction de l'angoisse qui s'empare de mon corps au point de me broyer littéralement les entrailles. Je ne dois pas réfléchir où je ne le ferais jamais. Je clique donc sur le contenu et je le parcours avidement des yeux. Je manque de m'évanouir au moins cinq fois tant mon cœur s'emballe. Je relis le paragraphe de peur de me faire une fausse joie et je mets presque en doute mon niveau d'anglais alors que je suis trilingue depuis mon plus jeune âge. Les cris que je pousse semblent provenir du plus profond de mon âme. Je suis si extatique que je peine à réaliser ce que je viens de lire. Evan se précipite dans le salon pour me rejoindre et il est aussitôt suivi par Alec dont la figure est à moitié rasée.

— Angy ? fait Evan.

Je lui tends le téléphone et son visage s'illumine encore plus que notre sapin derrière lui lorsqu'il comprend. Alec se jette à son tour sur moi et m'agrippe les épaules comme si sa propre vie en dépendait.

— Angy... C'est oui ? C'est la Juilliard, c'est ça ?

— Oui !

Je hurle ma réponse et les garçons sursautent de concert. Je danse, je ris, je saute et je crois même que je pleure de joie en même temps. Je suis sur un petit nuage qui est si haut dans le ciel que je ne pense pas pouvoir en redescendre un jour. J'essaie néanmoins de me calmer en reprenant un rythme régulier de respiration.

— Bon... Ne nous emportons pas.

Je pousse un nouveau cri d'excitation juste pour le plaisir et je me force de nouveau à contrôler mes émotions.

— Ce ne sont que les préadmissions. C'était la partie la plus facile.

— Oh merde Angy ! Ferme-là et profites un peu de ton cadeau de Noël qui vient d'arriver avant l'heure, dit Alec en me souriant tendrement.

Il m'ébouriffe les cheveux et même si je déteste lorsqu'il fait ça, je laisse couler. Il a raison, c'est mon moment ! La première brique de l'édifice est enfin posée et elle n'attend plus que toutes les autres. Mon rêve est bien plus à portée de mains qu'il ne l'a jamais été et ce sentiment me remplit d'une joie phénoménale. Je regarde tour à tour les deux frères et la fierté que je lis dans leurs yeux me réchauffe le cœur. Je suis toutefois gagnée par une légère bouffée de tristesse lorsque je réalise que mes parents ne vivront jamais ce type de moment avec moi. Kristen, Marco et Alexa seront eux aussi aux anges et je sais qu'ils partageront mon bonheur sans aucune modération, mais ma mère ne fera que me démotiver si j'ai le malheur de lui annoncer que j'ai passé cette première étape.

***

Les garçons ont décidé de me réserver leur matinée pour que nous puissions aller prendre un brunch ensemble au restaurant. Nous avons à peine franchi la porte qu'Alec a scandé à qui voulait bien l'entendre que je passerai bientôt les auditions pour entrer à la prestigieuse Juilliard School. Ayant quelque peu dissimulé ce rêve auprès de mes collègues jusque lors, je n'ai pas eu d'autre choix que d'acquiescer docilement de la tête quand on m'a demandé si c'était vrai. Marco qui lui était dans la confidence a immédiatement partagé ma joie. Ses paroles d'encouragement m'ont troublé jusqu'au plus profond de moi-même : « Bravo, farfallina ! Je suis si fière de toi. Tu le mérites tant. » Aucune insulte ni aucun cri en italien pour exprimer son ressenti. J'ai été tellement touchée que je l'ai pris pour la première fois depuis que nous nous connaissons dans mes bras. Il en a été si surpris qu'il lui a fallu un petit moment avant de me rendre mon étreinte.
La fin de ma journée a défilé à une vitesse folle et j'ai eu l'impression d'être dans une bulle hors du temps. Tout le monde m'a traité comme une princesse et mes collègues se sont organisés pour assurer le service de mes tables afin que je puisse discuter avec les plus curieux d'entre eux sur ma passion et sur l'école. Même si je ne travaille pas au Club ce soir puisqu'il est fermé pour les fêtes, je me dis qu'il est l'heure de rentrer. Je vole presque jusqu'aux cuisines pour aller récupérer mes affaires. Au moment où je pousse la porte, je suis tellement surprise par la scène que j'ai devant moi que je la relâche et qu'elle me revient en pleine figure.

— Félicitations ! crient-ils tous en cœur de l'autre côté.

Jessy accourt pour venir voir si je vais bien et nous éclatons de rire à l'unisson. Une partie de mes collègues m'attendent autour d'un gâteau aussi gigantesque que magnifique et je peine à réaliser que c'est pour moi. Ce n'est que lorsque le reste de l'équipe arrive derrière moi et me pousse gentiment que je reviens enfin sur terre. J'avance vers leurs visages radieux et je me dis que leurs sourires pourraient bien éclairer un état entier. Ces crapules n'ont pas uniquement pris mes tables pour me faire la conversation, mais pour me maintenir éloignée des cuisines et de leur petite manigance. Mon cœur bien malmené depuis hier éclate en mille morceaux sous ce nouvel assaut et je le sens fondre sous le poids de tout cet amour. Je suis on ne peut plus reconnaissante de les avoir dans ma vie. Je regrette d'avoir été si obnubilée à l'idée de me faire des nouveaux amis à la Juilliard que j'en ai oublié toutes les marques d'affection de l'entourage que j'ai déjà et qui tient à moi. Quelques accolades plus tard, nous décidons de rester dîner tous ensemble et nous nous installons pendant que Marco prend place derrière ses fourneaux.
Trois heures s'écoulent pendant lesquelles nous discutons de nos quotidiens, nos rêves, nos passions... Lorsque je les quitte, c'est avec un grand sourire béat sur les lèvres. J'enfonce mes écouteurs dans mes oreilles et je m'abandonne entièrement. Ce qui m'arrive est aussi fou qu'irréel. Je suis si heureuse que mon corps commence à bouger en rythme. Je ne prête pas attention à ce qui m'entoure et je me laisse aller aussi vite que mes pieds me le permettent, aussi fort que mon cœur le souhaite et aussi intensément que mon âme l'exige. Certains passants me jettent des regards amusés mais je ne m'arrête pas pour autant. Tant pis si j'ai l'air d'une folle ! J'ai si peur de me réveiller et de réaliser que tout ceci n'est qu'un rêve alors je profite de l'instant présent. J'aimerais ancrer profondément ce moment afin de me remémorer ce sentiment aussi longtemps que je vivrai. Je veux pouvoir me souvenir jusqu'à mon dernier souffle de cette joie intense qui pourrait me faire déplacer des montagnes. Ce courriel représente à lui tout seul l'espoir d'un avenir radieux, même si je sais que le plus compliqué est encore à faire. Je vais devoir leur prouver une épreuve après l'autre que j'ai ma place et que j'ai travaillé comme une forcenée pour la mériter. Lorsque la chanson se termine, je m'arrête un instant pour reprendre mon souffle. Quelqu'un me tapote l'épaule et je panique tellement à l'idée que ce soit Jamie qui ait décidé de mettre sa menace à exécution que sans réfléchir je fais volte-face et j'envoie de toutes mes forces mon poing dans le visage de la personne qui se trouve derrière moi.

BALLERINAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant