BALLERINA

• CHAPITRE CENT-NEUF •

– H –

Quelques mois plus tôt...

Depuis que la ballerine m'a quitté, un trou béant qui m'empêche de respirer s'est formé dans ma poitrine. Son absence est semblable à une brûlure sourde qui ne s'éteint jamais. Même le monstre est en deuil et ne donne plus signe de vie depuis quelques jours. Plus de rage, pas un souffle de violence depuis des jours... juste un vide. Un silence insupportable.

J'ai essayé de faire taire cette douleur, d'étouffer cette absence, mais c'est comme si son ombre imprégnait chaque recoin de ma vie en refusant de me libérer et chaque nuit, j'en viens à la même conclusion brutale : je ne peux plus vivre sans elle. Je n'ai pas d'autre choix que de la retrouver, car même si elle a choisi de fuir, il n'existe aucun monde dans lequel je renoncerai à elle. Elle est à moi, même si elle s'obstine à ne pas le voir. Ce n'est pas de l'amour doux ou docile que je ressens. Non, c'est quelque chose de plus profond, de plus sombre, une soif insatiable de la posséder, de la lier à moi pour l'éternité.

C'est avec cette unique certitude que je franchis la porte de la bijouterie la plus huppée de New York. J'ai une vision précise de ce que je veux. Un bijou qui devra être aussi singulier que la relation étrange qui nous lie depuis des mois. Aussi sombre et lumineux que le duo improbable que nous formons. Il ne faut pas plus de quelques minutes au directeur pour se présenter et m'inviter à m'installer dans l'arrière-boutique. Moins d'une demi-heure plus tard, et après une demi-douzaine de croquis, ma commande est passée et je quitte la bijouterie.

Alors que j'enfourche ma moto, mon esprit est verrouillé vers le jour où je glisserai cet anneau à son doigt. Ce n'est plus une question de « si », mais de « quand ». Parce que je compte bien la retrouver. Elle ne pourra pas fuir indéfiniment ce que nous sommes l'un pour l'autre. Alors que je m'enfonce dans le trafic, je suis surpris par le calme et la froide résolution qui envahit mes veines comme une drogue. Je la ramènerai, que ce soit dans la douceur ou dans la tempête, car elle est peut-être le chaos qui ravage mon âme, mais je serai volontiers le monstre qui gouvernera la sienne.

***

C'est une soirée magnifique. Je n'aurais pas pu rêver d'un cadre plus idyllique que celui-là. Rien n'a été laissé au hasard et j'ai réservé l'entièreté du restaurant pour faire de ce moment le nôtre. Je ne souhaite partager mes confessions avec personne d'autre que la ballerine. Je veux qu'elle comprenne qu'elle est le centre de mon univers et qu'il n'y a qu'elle qui compte. L'attente a déjà été suffisamment longue et puisqu'elle connaît mes intentions, je ne vois pas l'intérêt de faire durer le suspens plus longtemps. Les cocktails sont à peine sur notre table, que je me lance.

— Personne ne supporte de rester auprès de moi après avoir aperçu les ombres qui me rongent. Pas même moi, lorsque mes propres ténèbres m'engloutissent. Et pourtant, toi... tu es restée. Tu as traversé mes barrières, tu t'es infiltrée dans mon existence sans y être invitée, Angelina Carter, et tu n'as pas reculé. Enfin... pas de ton plein gré du moins, et il a fallu que tu partes pour que je reconnaisse mes torts.

Mon regard glisse lentement de ses lèvres à la courbe de son cou, chaque contour et chaque mouvement de ce corps que je connais par cœur, qui me hante et pourtant continue de m'ensorceler. Elle est une obsession, une addiction à laquelle je ne peux échapper. La même certitude qu'il y a quelques mois me frappe : elle est à moi. La seule différence, c'est que cette fois, je la veux toute entière. Plus de compromis, plus de retenue. Ce sera elle, totalement, ou ce sera le néant.