— H —Cette fixation a atteint un point presque maladif et j'ai besoin de percer ce mystère avant de me faire enfermer. Pourquoi m'obnubile-t-elle autant ? Je m'accroche telle une sangsue alors qu'elle m'a bien fait comprendre au cours de notre dernier échange que, non seulement je ne l'intéressais pas, mais qu'en plus de ça je l'importunais au plus haut degré. Je sais que je devrais passer à autre chose, mais je n'arrive pas à m'y résoudre. Ne pas réussir à m'expliquer pourquoi me crispe au plus haut point. Au moment où je la repère derrière le bar, je m'arrête net et je prends le temps de la contempler. Elle s'active avec légèreté et je ne peux détacher mes yeux de ce spectacle envoûtant. Son regard trouve le mien dans le miroir et j'y vois là un signal pour me détourner. Bien que je ne mette presque jamais les pieds dans les clubs que je possède, j'y ai toujours une table réservée au cas où l'envie me prendrait. Je vais donc m'y installer et je pianote rapidement sur la tablette intégrée dans le plateau de la table pour commander une bouteille de Dalmore qui a à peu de choses près le même âge que le mien. Je profite du fait que je suis dans la pénombre la plus complète pour continuer de l'observer à la dérobée de temps en temps quand les clients cessent de se bousculer devant elle. Ce qui est par ailleurs presque aussi rare qu'un puits en plein désert. Lorsque le groupe de femmes qui me bloquaient partiellement la vue se décide enfin à quitter le bar pour se diriger vers la piste, je suis à deux doigts d'exulter. J'analyse le moindre détail, son physique, sa gestuelle, ses œillades, ses sourires, ses froncements de sourcils... mais je n'y vois pas plus clair. Je n'arrive pas à résoudre cette énigme et mon cerveau chauffe bien plus qu'une locomotive à vapeur depuis que je me suis lancée dans cette mission. Je n'ai pas pour habitude de battre en retraite, mais je sais aussi que j'ai un travail considérable qui m'attend. Je ne peux pas rester assis ici jusqu'au bout de la nuit à sacrifier de précieuses heures. Je m'apprête à abandonner ma tour d'observation lorsque je la vois quitter son poste pour se diriger droit vers la piste. J'essaie de faire taire le chef d'entreprise en moi qui hurle à la vue de cette scène et je me déplace légèrement pour avoir un meilleur angle de vue. Elle rejoint un client qui a rodé près d'elle une bonne partie de la soirée et mon sang ne fait qu'un tour. Non pas que j'en ai quelque chose à faire qu'elle décide de danser avec un homme, car je n'ai aucun droit sur elle, mais il est hors de question que je tolère ce genre d'écart ! La réputation de ce club ne peut pas être entachée par une conduite aussi indécente que celle-ci. Je rejoins à mon tour la piste d'un pas que je trouve bien plus raide encore que la justice elle-même. Une main manucurée d'un rouge vif tente de s'approcher de mon torse, mais la personne à qui elle appartient se ravise lorsqu'elle croise mon regard. Je ne lui accorde pas plus de temps et je poursuis ma route vers la ballerine qui rit maintenant aux éclats. Perdre un poumon en hurlant par-dessus la musique n'étant pas réellement ma tasse de thé, je la saisis par la taille pour qu'elle se retourne.
— Hey, calmos ! intervient son cavalier.
Je fais un pas, mais avant que je ne puisse répondre quoi que ce soit, elle se penche et lui glisse quelque chose à l'oreille. Il me scrute un instant et je dois faire appel à toute ma patience pour ne pas lui lancer mon poing dans la figure. Ce genre d'énergumène me dégoute au plus haut point. Je sais très bien à quoi il pense et ce n'est certainement pas pour lui proposer une partie de cartes qu'il lui tourne autour depuis des heures. Lorsqu'elle reporte son attention sur moi, elle me foudroie sur place.
— Ça ne va pas bien ! vocifère-t-elle.
J'attrape son poignet et je l'entraîne derrière moi sans lui répondre. Après tout si elle est capable de danser avec un inconnu pendant son service, elle peut bien suivre son patron sans faire trop d'histoires ! Je me tourne tout de même pour observer sa réaction et je suis ahuri de découvrir qu'elle se moque de la situation. Je dois dire que je m'attendais tout sauf à ça. La musique est bien trop forte pour que j'entende son rire et même si je suis profondément exaspéré en cet instant, je me fais la drôle de réflexion que c'est bien dommage de passer à côté de ça. Je nous fais grimper les marches quatre à quatre et je ne la relâche qu'une fois que nous sommes seuls dans le bureau de Stephen. Celui-ci n'a pas tenté d'épiloguer lorsque je lui ai intimé de quitter les lieux et c'est clairement mieux pour lui. Ma colère ne demande qu'à enfin exploser sur quelqu'un ou quelque chose.
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BALLERINA
RomanceAngelina Carter et Hayden Reed n'ont en apparence rien en commun, si ce n'est une détermination farouche à réaliser leurs rêves. Alors qu'elle ne vit que pour le ballet et qu'elle s'y abandonne corps et âme, il n'a de considération que pour l'empir...