• CHAPITRE SOIXANTE ET UN •

15.1K 1.2K 84
                                    




— A —

Je ne sais pas comment j'ai réussi à terminer mon service, mais j'ai fait de mon mieux pour prendre en charge toutes les commandes correctement jusqu'à la fin. Je ne peux plus me permettre de quitter mon poste au gré de mes affaires personnelles sous les yeux de mes collègues. À l'heure pile de la fin de mon service, je me déconnecte rapidement, récupère mes affaires et quitte le Convivium. L'échange auquel j'ai assisté m'a profondément choquée. La violence dont Monsieur bleu acier a fait preuve m'a laissée sans voix, mais le comportement d'Aaron est tout bonnement écœurant.

Mes pensées tourbillonnent dans ma tête tandis que je me fraye un chemin parmi la foule des clients qui cherchent un moyen de transport. Je grille la priorité à un couple dont les bouches sont soudées l'une à l'autre et je m'engouffre dans un taxi. Dans un murmure, je dicte l'adresse de Monsieur bleu acier au chauffeur et je m'installe dans mon siège alors que la voiture redémarre. Les images de leur échange brutal continuent de hanter mon esprit et le doute me ronge peu à peu. Aurais-je dû agir d'une façon différente ? Cette impulsion qui me pousse à le revoir est-elle une folie ? Je ne sais pas vraiment, mais je ne peux pas ignorer mes inquiétudes. Je sens que je dois être là pour lui, mais aussi pour moi-même. Il y a quelque chose de magnétique et énigmatique en lui, quelque chose qui m'attire irrésistiblement.

Le taxi file à travers les rues désertes de la ville, nous rapprochant peu à peu de son appartement. Les interrogations se mêlent à l'appréhension et j'en ai presque le tournis. Suis-je prête à affronter ce qui m'attend là-bas ? Prête à plonger plus profondément dans cette spirale troublante qui nous unit ? À qui aurais-je affaire ? Docteur Jekyll ou Monsieur Hyde ?

Finalement, le chauffeur s'immobilise devant l'immeuble. Je le paie d'un geste fébrile et je sors de la voiture avec les jambes tremblantes. Je force ma petite voix à la boucler un instant et je me rends directement à l'accueil.

— Bonsoir, je suis ici pour voir Monsieur Reed. Est-ce qu'il est chez lui ?

Le réceptionniste me dévisage brièvement et secoue la tête.

— Je suis désolé madame, mais Monsieur Reed ne souhaite pas être dérangé pour le moment.

— Je comprends, mais il est très important que je lui parle. Pouvez-vous lui dire que c'est Angelina ? j'insiste.

— Je transmettrai votre message, mais je ne peux pas vous garantir qu'il vous recevra, me répond-il impassiblement.

— Merci, c'est gentil de votre part.

Je ramasse mon sac sur le comptoir ainsi que les débris de ma fierté qui jonchent le sol à mes pieds pour aller m'installer dans l'un des fauteuils du hall de l'immeuble.

— Je suis désolé, Monsieur Reed maintient sa décision. Il ne souhaite recevoir personne, revient-il m'annoncer rapidement.

Mon cœur se serre dans ma poitrine, mais je ne compte pas partir aussi facilement.

— Je vais attendre ici au cas où il changerait d'avis.

Je m'installe confortablement, consciente que je vais devoir patienter un moment avant qu'il daigne me donner signe de vie. Mon regard se fixe sur les aiguilles de ma montre avec une lueur d'espoir, comme si elles pouvaient miraculeusement faire marche arrière, revenir à ce moment fatidique où tout a dérapé. Mais une heure s'écoule sans que rien ne change et je demeure assise à la même place avec les fesses engourdies.

Soudain, une main se présente devant moi. Je lève les yeux pour découvrir ceux de Monsieur bleu acier injectés de sang. Malgré son apparence soignée, son visage est marqué et son regard semble perdu. Machinalement, je glisse ma main dans la sienne et je le suis docilement. Un bon point pour moi... il s'est donné la peine de descendre me chercher.

BALLERINAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant