• CHAPITRE DIX-NEUF •

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— H —

Je dois dire que la ballerine a les nerfs bien plus solides que ce que je m'imaginais. Je ne l'ai pas renvoyé de mon bureau pour lui donner une quelconque leçon. Je l'ai fait parce que c'était pour moi la meilleure des choses à faire à ce moment-là. L'entendre dire haut et fort qu'elle n'était là que pour de l'argent a eu raison du peu de patience qu'il me restait après l'incident avec l'ascenseur et mon irritation a tellement obscurci mon jugement que je n'ai pas été capable de prendre le recul nécessaire. En y réfléchissant à tête reposée après son départ, il m'a paru évident qu'elle ne pouvait pas être venue pour récupérer un chèque qu'elle a si farouchement refusé de percevoir par le passé. Si j'avais eu l'esprit clair, j'aurais pu faire machine arrière quitte à piétiner la pincée de fierté qu'il semble me rester quand je me trouve en sa compagnie... mais Stella et son don de faire ressortir le pire en moi sont arrivés. J'ai cherché à m'abrutir le cerveau après sa visite en avalant les kilomètres sur un tapis de course, mais cette tentative s'est soldée par un échec. Elle a appris à jongler avec le monstre depuis tant d'années que chacun de ses agissements est calculé avec une précision chirurgicale. Mieux que personne, elle sait appuyer où ça fait mal. Sa marque d'affection n'était rien d'autre qu'un pion qu'elle a déplacé sur un échiquier, car s'il y a bien une chose que Stella n'est pas, c'est une femme tendre. J'apprécie ce trait de caractère autant que je le déteste et c'est bien le problème dans notre relation tordue. Pourquoi a-t-il fallu qu'elle apparaisse exactement à cet instant précis de ma journée ? Pire encore, pourquoi a-t-elle capitulé aussi facilement ? Ce n'est pas dans ses habitudes et je n'aime pas ça du tout.

— Monsieur Reed ?

Depuis combien de temps ai-je bien pu perdre le fil de la conversation ? Lewis ne sera probablement pas dupe, mais je m'efforce tout de même de donner le change.

— Que pense l'agent Nickson de ces nouveaux éléments ?

— Eh bien, à vrai dire, c'est totalement brouillon, me rétorque-t-il dépité.

Je fais tournoyer le liquide ambré dans mon verre et je souris amèrement. Cette journée a été éreintante sur tous les plans. D'abord cette réunion interminable pour essayer de rattraper le fiasco de Logan, la visite de la ballerine, la panne d'ascenseur et tous les souvenirs détestables, l'irruption de Stella et maintenant ça. Bien que je ne sois pas surpris qu'Aaron ait tenté quelque chose aujourd'hui, je ne peux m'empêcher de me demander si cette histoire sera enfin derrière moi un jour. Je trouvais déjà ça assez pénible d'avoir des gardes du corps lors des grands événements, mais c'est encore pire depuis Rio. Même s'ils sont discrets au point que j'en oublie parfois leur présence, il n'en reste pas moins qu'ils surveillent le moindre de mes faits et gestes dans le cadre de mes apparitions publiques. Je déteste ce sentiment d'être sans arrêt observé. Journalistes, famille, concurrents, gardes du corps, thérapeute, j'ai toujours quelqu'un sur le dos à un moment ou un autre de ma vie. J'ai l'impression d'étouffer... Parfois, je m'imagine tomber sur Aaron avant la police et cette idée m'attire autant qu'elle m'effraie. Je sais que ce jour-là toutes les barrières mentales que je m'évertue à ériger s'effondreront misérablement comme un château de sable en plein tsunami. Ce jour-là... je ne pourrais rien faire pour nous protéger tous les deux du monstre.

— Prévenez-moi s'il y a du nouveau.

— Monsieur... hasarde Lewis.

— Oui ?

— L'agent Nickson pense qu'il serait préférable de limiter un maximum vos déplacements en attendant et de faire profil bas.

— Limiter mes déplacements ?

Ma mâchoire est contractée a un point tel que j'entends presque mes dents grincer.

— Je dois admettre que je suis du même avis. C'est un cran au-dessus de tout ce qu'il a déjà tenté par le passé.

BALLERINAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant