• CHAPITRE SEPT •

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A

Alors que je m'entraîne, Alec est installé à même le sol et travaille sur un bureau de fortune qu'il a aménagé près d'un mur. Il est facilement distrait par la musique et il en profite pour laisser ses pensées dériver tout en m'observant. En dehors de Kristen, Aleksei et lui, je n'accorde à personne le droit de venir dans cette pièce lorsque j'y danse. Evan en est privé depuis le premier jour et j'ai pris un temps fou avant de mettre le doigt sur ce qui avait motivé mon premier refus. Il croit bien trop farouchement en moi. Qu'adviendrait-il s'il ne me trouvait pas assez bien après avoir autant investi en moi ? S'il finissait par se rendre compte qu'il avait placé ses espoirs sur une personne dénuée de talent au bout du compte ? Je tâche de faire revenir mon esprit sur le moment présent en éloignant autant que possible ces pensées maussades. Ce n'est pas en manquant de concentration que je réussirai à perfectionner ma technique.

Le soir, alors que je suis en direction du Convivium, la sonnerie de mon téléphone me surprend à tel point que je rate une marche et que je manque de peu de tomber dans les escaliers que je suis en train de monter.

— Kris !

— Salut Ody !

Je ne peux m'empêcher de sourire à pleines dents même si j'ai en horreur ce surnom grotesque. Pour elle, c'est un bel hommage à Odette et Odile, pour moi... eh bien, disons que nos avis divergent grandement sur la question.

— J'ai l'impression que cela fait une éternité que je n'ai pas entendu le son de ta voix, reprend-elle.

— Moi aussi !

— Tu vois l'heure à laquelle je suis forcée de t'appeler pour être certaine de ne pas tomber sur ton répondeur.

— C'est si bon d'écouter quelqu'un râler... enfin, pardon, d'écouter quelqu'un parler en français ! je la taquine.

— Quoi ? C'est vrai ! Il est tout de même deux heures du matin !

— Et pourrait-on savoir ce que tu fais encore debout ? Parce que je suis prête à parier un salaire que ce n'était pas pour m'avoir uniquement au téléphone !

— D'accord, je l'avoue ! Je pars à Londres demain et j'ai mon train à six heures trente, mais tu me connais... je m'y prends toujours à la dernière minute pour boucler ma valise ! ricane-t-elle.

Son rire est si léger qu'il actionne je ne sais quel bouton en moi et que mon humeur repasse d'un coup au beau fixe. Elle se lance dans un résumé plutôt animé de ses péripéties des derniers jours et je l'écoute avec tout l'intérêt du monde. Je ne l'interromps que lorsque je vois la devanture du club se profiler à l'horizon.

— J'arrive au Convivium. Combien de temps resteras-tu à Londres ?

— Une semaine. On essaie de se rappeler dimanche soir ! 

J'ai le cœur qui se comprime à l'idée de la laisser, mais je n'ai pas vraiment le choix. Je suis reconnaissante pour ce moment que nous venons de partager et je le chérirai jusqu'au prochain même si je sais qu'il n'aura certainement pas lieu dimanche.

— Rends-moi service et prends soin de toi pour changer un peu ! me sermonne-t-elle.

— Pas de problème, mais uniquement si tu en fais autant !

— Allez, à plus tard !

— Bisous !

Nous raccrochons et la musique redémarre d'un coup dans mes oreilles. Je râle toute seule, car le volume m'a pris par surprise. Je range mon téléphone et je souris bêtement en marchant. Cette conversation m'a ragaillardie plus que je ne l'aurais cru. Kristen n'est pas qu'une simple amie, c'est la sœur que la vie m'a donnée. Je n'ai qu'elle avec qui partager mes aventures. Certes, Evan est une oreille des plus attentives, mais il y a des choses que je ne peux aborder qu'avec elle. Nous nous connaissons depuis que nous sommes hautes comme trois pommes. Elle sait tout de moi et je peux en dire autant à son sujet. J'ai pourtant préféré taire l'accident, ma rencontre avec Monsieur bleu acier et mon altercation avec Jamie. Ce n'est pas utile qu'elle se fasse du mauvais sang pour moi avant ses vacances. 

BALLERINAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant