• CHAPITRE TRENTE HUIT •

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— H—

— Stella, j'ai du travail, dis-je d'un ton calme.

— Je prends donc ça pour un non, répond-elle avec un sourire narquois.

Je serre les poings, essayant de contenir le monstre qui menace de déraper. Je ne peux pas rompre la promesse que j'ai faite à la ballerine de garder notre petit arrangement pour moi, ce qui signifie que je ne peux pas cuisiner Stella. Pourtant, depuis l'incident qui nous lie tous les trois, ce n'est pas l'envie qui m'en manque.

— Il fut un temps où tu avais au moins la décence de ne pas venir me déranger dans mon bureau.

— Il fut un temps où je n'avais pas besoin de prendre rendez-vous en fonction de tes humeurs pour te parler, rétorque-t-elle sans se laisser impressionner.

— À croire que le passé était bien plus satisfaisant pour chacun d'entre nous, dis-je d'une voix aussi tranchante que la lame d'un couteau. Maintenant, si tu permets. Mon rendez-vous de quatorze heures vient d'arriver.

Stella jette un coup d'œil à l'accueil où Lewis se présente, haussant un sourcil en guise de seule réponse. Elle ne se donne même pas la peine de faire semblant de partir. Je respire profondément en m'efforçant de ne pas laisser transparaître mon irritation. Depuis que nous sommes devenus adultes, elle prend un malin plaisir à provoquer le monstre pour le libérer de sa cage au gré de ses envies. Mais je me suis juré de ne plus être sa marionnette et ce n'est certainement pas aujourd'hui que je perdrai le contrôle.

— Je reste ta sœur ! insiste-t-elle.

— Et moi, ton patron ! je réplique d'une voix ferme.

— Bien, dit-elle en croisant les bras. Alors, quand êtes-vous disponible, Monsieur le Patron ?

— Arrange-toi avec l'une de mes assistantes. Elles te trouveront bien une date.

J'ordonne que l'on fasse entrer Lewis sans un dernier regard pour elle.

— Nous n'avions pas rendez-vous, il me semble, je demande à celui-ci une fois que nous sommes seuls dans mon bureau.

— Non effectivement Monsieur, mais l'agent Nickson m'a téléphoné car il y a du nouveau.

***

Les révélations de cet après-midi résonnent dans ma tête comme un écho incessant. Si l'enquête venait à prouver les dires et les soupçons de l'agent Nickson, je redoute ma réaction. Les conséquences seraient terribles, non seulement pour les personnes impliquées, mais aussi pour moi. Mon esprit est en ébullition et j'ai besoin de me changer les idées avant de perdre le contrôle...

***

Je me tiens debout, face à l'horizon, les pieds enfoncés dans le sable noir de Jökulsárlón Lake. Ce sable qui reflète si bien les ténèbres de mon cœur. C'est un lieu qui m'aide à faire une pause lorsque j'ai envie de quelques jours de répit, loin de tout et de tout le monde, sans aucune stimulation extérieure. Je trouve refuge dans ce jardin secret. Dans cet endroit où je peux cultiver ma tranquillité à l'abri de l'agitation du quotidien et de mon environnement professionnel qui me pèse. Ici, je suis simplement Hayden, un homme généreux qui paie bien pour un peu de solitude en échange. Je ne viens pas chercher des réponses ni méditer sur ma vie. Je viens juste pour éteindre mon système avant qu'il ne surchauffe.

Je n'ai pas allumé mon téléphone depuis deux jours et peu m'importe si mon empire a sombré entre temps. Pour la première fois depuis un long moment, je me suis senti enfin libre. Ces quelques jours de retraite m'ont procuré un bien-être profond et m'ont aidé à comprendre que j'avais besoin d'un peu plus de légèreté dans mon quotidien. Et curieusement, cette légèreté porte un nom. Angelina Carter. Je me suis surpris plus d'une fois à penser à son sourire contagieux et à sa voix captivante à des milliers de kilomètres d'elle. J'ai réalisé qu'en sa présence, je devenais quelqu'un de différent, loin de tout ce que je n'ai jamais été. C'est un sentiment qui est à la fois fascinant et angoissant. J'ai toujours apprécié la solitude, mais depuis qu'elle s'est retrouvée presque sous les roues de ma voiture, cette solitude est devenue étrangement étouffante. Les moments que nous avons partagés, aussi brefs soient-ils, ont laissé une empreinte indélébile en moi. Je me sens happé dans son sillage, alors que je suis habitué à garder mes distances avec les autres. Mes pensées me font sourire. Après tout, peut-être que je viens ici pour méditer sans même en être conscient...

BALLERINAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant