• CHAPITRE CINQUANTE-ET-UN •

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— A —

Quelqu'un récupère mon manteau et je me sens mise à nue. Un peu comme si je n'appartenais pas à ce monde. J'entre dans la somptueuse salle de réception et retiens difficilement un hoquet de surprise. Je ne peux m'empêcher d'être émerveillée par la beauté de cet endroit qui semble tout droit sorti d'une autre époque. Les œuvres d'art éblouissantes et l'immense chandelier en cristal qui trône au-dessus de nous ajoutent une touche majestueuse à l'ensemble. C'est un mélange étonnant de pureté et de raffinement. Je ne peux même pas imaginer ce que ça a dû être de grandir dans une maison aussi magnifique.

— Ferme donc la bouche Angelina !

Le sarcasme d'Aaron me ramène brutalement à la réalité. Une petite voix cynique à l'intérieur de moi me dit que je ne suis pas à ma place et que Monsieur bleu acier ne tardera pas à remarquer ma présence inappropriée. Nous faisons à peine un pas dans la salle que je sens que l'on me scrute de la tête aux pieds. J'ai l'impression d'être en terrain hostile, où chaque pas que je fais est épié. Les femmes sont toutes vêtues superbement et les hommes sont d'une élégance à donner le vertige. Aaron lui-même malgré toute la méfiance que j'ai à son égard est endimanché. Je n'ai pas prêté attention à sa tenue jusque maintenant, mais habillé d'un costume trois-pièces gris foncé et d'une cravate bleue, il ressemble étonnamment à son frère.
Une main glacée se pose sur mon avant-bras et je reconnais ses ongles avant même de lever les yeux sur elle.

— Angelina.

— Bonsoir, Stella, je réponds avec assurance.

Hors de question de perdre la face devant elle. J'ai déjà bien assez de mal à me maîtriser en présence d'un des membres de la fratrie des Reed. Aaron ne prend même pas la peine de la saluer et lui demande directement où se trouve Hayden. La vipère n'a pas le temps d'ouvrir la bouche qu'un homme aux cheveux grisonnants et à la carrure imposante les interrompt.

— Qu'avez-vous fait tous les deux ? tonne-t-il.

Sa voix est si dure et glaciale qu'il ne fait aucun doute : je me tiens devant leur père. Ses yeux sont identiques à ceux de ses fils, perçants et pénétrants. Il reprend rapidement son calme lorsqu'il se rend compte qu'ils ne sont pas seuls.

— Bonsoir, mademoiselle... ? demande-t-il avec une courtoisie forcée.

— Carter, je réponds en serrant volontiers la main qu'il me tend. Votre demeure est magnifique. Merci de m'accueillir ici.

Il lance des regards assassins à Aaron et Stella tour à tour, puis me prie de les excuser un instant. Je ne peux m'empêcher de remarquer qu'il a l'air étrangement bien portant pour un homme atteint d'Alzheimer. Mais après tout, qu'est-ce que je sais de cette maladie ? Rien du tout. L'idée qu'Hayden ne réalise pas à quel point ses proches se soucient de lui me rend triste. Même si Stella est une sale vipère et qu'Aaron est un manipulateur de première, ils ont apparemment tout orchestré pour réunir leur famille en son honneur. Leur intention est louable en fin de compte. Que ne donnerais-je pas pour que ma mère m'accorde le quart de cette affection... Mon cœur se serre tristement à cette pensée, mais je glisse un sourire factice sur mon visage et me dirige vers l'un des bars de la pièce. J'attrape une coupe de champagne que je vide d'un trait pour tenter de calmer mes nerfs. Alors que je m'apprête à en prendre une autre, une main brutale se referme sans ménagement sur la mienne. Monsieur bleu acier me toise, le visage dur et sévère.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? éclate-t-il d'une voix à peine contenue.

Je me dégage de son emprise, mais son regard me transperce comme un éclair. Une onde presque meurtrière traverse ses pupilles et je sens une cascade de glaçons descendre lentement le long de ma colonne vertébrale. Il ouvre la bouche puis la referme immédiatement, se passant la main dans les cheveux. Ses yeux sont comme des revolvers braqués sur moi et je reste figée, impuissante face à sa fureur.

BALLERINAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant