Lorsque le professeur Cybèle Beaucerf fit son apparition, elle se précipita vers Sédah.— Suite à notre entretien, Mordoh, et en concertation avec l'ensemble des enseignants et représentants présents, vous êtes consignée dans mon bureau jusqu'à l'heure du repas. Votre camarade Osmane Aleazim est également mis en retenue pour un problème de comportement. Profitez tous les deux de ce temps pour méditer sur votre attitude au sein de cette école.
Le ton de Beaucerf était tranchant. Sédah se leva et se tourna, lançant une grimace désespérée à ses amis. Georgios et Maddy lui répondirent avec une mimique compatissante. Sédah et Osmane suivirent Beaucerf qui s'engouffra sans tarder dans la cage d'escalier menant au dernier étage. C'est là que se trouvaient les bureaux des professeurs. La disposition des lieux était aussi étrangement désordonnée qu'aux étages inférieurs de la bibliothèque. Cybèle Beaucerf occupait un vaste espace avec vue sur la cour de l'école. Les murs étaient ornés de médailles encadrées, de certificats d'études et de récompenses d'excellence. Des ouvrages sur les créatures mort-vivantes trônaient en haut de plusieurs étagères. Une grande table était au centre de la pièce. Beaucerf claqua des doigts
— Mordoh, ici.
Puis elle fit un autre geste à destination d'Osmane :
— Aleazim, là.
Elle se dirigea vers la bibliothèque et attrapa un ouvrage, elle en consulta le sommaire, puis se reporta à un endroit précis avant de le poser sur la table devant Sédah en faisant claquer la tranche du livre, la faisant sursauter. Elle en lut le titre :Les créatures du royaume des morts.
— Mordoh, vous le lisez et vous le résumez.Elle disposa un bloc de feuilles blanches et un pot contenant des stylos devant elle et poursuivit avec un sourire venimeux :
— Vous ne partirez pas tant que je ne saurai pas ce que vous cachez.
Elle se dirigea ensuite vers sa sacoche qu'elle posa sur son bureau brutalement. Elle l'ouvrit, en tira un paquet de copies qu'elle prit le temps de consulter rapidement. Elle en retira une, et la posa bruyamment sur la table devant Osmane qui était avachi sur le dossier de son siège avec une nonchalance extraordinairement provocatrice. Elle planta ses deux deux paumes de mains à plats et s'approcha de lui :
— Aleazim, vous retravaillez votre cours tout de suite. Je veux que vous refassiez votre devoir ! Ce torchon n'est pas acceptable, fit-elle en secouant sa copie furieusement.
Osmane souffla. Il fouilla dans son sac qui était mal fermé, attrapa la chemise dans laquelle se trouvait son cours d'histoire des mythes, ainsi qu'un stylo. Il demanda une feuille au professeur Beaucerf qui lui en tendit une instantanément. Puis elle alla s'asseoir un peu plus loin, dans un petit fauteuil situé sur le balconnet, avec des copies qu'elle se mit à corriger.
Exaspéré, Osmane ne put s'empêcher de regarder Sédah d'un air complice, levant les yeux au ciel d'agacement, puis il se mit à travailler. Sédah en fit de même. Elle se mit à lire le chapitre. Elle y apprit que les presque-morts désignaient l'ensemble des créatures qui peuplaient le royaume de son père. Celles-ci comprenaient les âmes errantes qui n'avaient pas réussi à passer l'Achéron, qui était le nom de la rivière qui menait aux enfers. Et elles englobaient également les créatures infernales, qui étaient des émissaires du seigneur des enfers, comme les kères, les moires, les furies, les grées, les harpies ou encore les gorgones.Ces émissaires restaient généralement dans les enfers, aidant à y maintenir l'ordre.
Elle apprit que si les âmes errantes étaient assez communes dans le monde des humains, s'incarnant notamment en possédant des humains ou en hantant des lieux, les créatures infernales, quant à elles, ne s'aventuraient que très rarement hors du royaume des enfers. La structure et la géographie du royaume des morts lui apparurent alors plus clairement. Elle comprit que lorsqu'elle avait vu sa mère, ellen'était sûrement restée qu'à la frontière, quelque part entre la vie et la mort.
— Presque-morte, quasi-vivante, pensa-t-elle.
— Ferme ton esprit à la fin ! fulmina mentalement Osmane en la regardant de travers. Tu es vraiment impossible !
Elle remarqua que Beaucerf avait également levé ses yeux sur elle, la regardant avec un air suspicieux.
— Vous avez quelque chose à dire Mordoh ? demanda-t-elle, l'air subitement très intéressée.
— Non... répondit-elle penaude.
Le professeur Beaucerf replongea immédiatement dans ses corrections, non sans soupirer de mécontentement. Sédah n'y prêta pas attention. Elle concentra ses efforts pour ériger une citadelle dans son esprit afin que nulle pensée ne lui échappe. Elle regarda Osmane avec reconnaissance. Mais celui-ci lui jeta à peine un regard. Il s'était déjà recentré sur sa punition. Sédah retourna à ses souvenirs et à sa réflexion. Lorsqu'elle avait entrevu sa mère, elle se demanda si elle n'avait pas vaguement distingué Charon à une distance difficile à estimer. Elle se souvenait avoir perçu une rumeur tumultueuse, peut-être était-ce celle du fleuve Achéron. Elle n'avait toutefois rien vu des enfers, ni des autres composantes du royaume souterrain.
Elle se promit de chercher à en savoir plus, peut-être en explorant des œuvres telles que Le mythe d'Er de Platon, La divine comédie de Dante, ou encore le poème Le paradis Perdu de John Milton, repérés dans la bibliographie de l'ouvrage qu'elle avait entre les mains. Elle devina qu'elle abordait enfin la section que Cybèle Beaucerf souhaitait qu'elle examine, une portion qui la dépeignait comme une coupable toute désignée. On y apprenait que lorsqu'une créature infernale s'intéressait à un être humain, elle absorbait son énergie vitale, transformant le sang de son hôte en fiel. À partir du point de contact, le sang souillé se propageait dans le corps de l'hôte, jusqu'à le retenir captif des limbes.
Il était spécifié que toute profanation du royaume des morts, que ce soit par invocation, acte de voyance ou de spiritisme, conduirait à marquer toute créature humaine, responsable ou non, se trouvant dans leur sillage. Progressivement, les victimes se trouveraient persécutées dans leur sommeil, hantées dans leurs pensées, voire vidées de leur substance mentale et vitale. Pour mettre fin à cette traque funèbre, le profanateur devait, selon l'auteur, expier sa faute et faire amende honorable.
L'auteur soulignait également que si les âmes errantes étaient fréquentes dans le monde des humains, prenant parfois possession de corps ou hantant des lieux, les créatures infernales, elles, demeuraient confinées au royaume des enfers, sauf en cas de provocation majeure.
Alors qu'elle concluait sa lecture, elle se demandait quel argument elle pourrait avancer auprès du professeur Beaucerf pour éviter que la situation ne dégénère. Soudain, on frappa à la porte. Un élève de dernière année avait été dépêché pour aller quérir cette rabat-joie. Elle se tourna vers eux avec sévérité.
— Vous ne bougez pas d'ici. Je reviens tout de suite.
Puis elle sortit en refermant la porte derrière elle, laissant Osmane et Sédah seuls dans son bureau.
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Merci d'avoir lu !
Passez un joyeux Noël 🎄 et profitez bien de ces quelques jours de vacances ^^
Brune. 🖤
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Sédah - La fille cachée d'Hadès - T1
FantasyDepuis sa naissance, Sédah vit loin du monde. Des ombres terribles grandissent en elle, menaçant toute forme de vie qui entre à son contact. Elle ne ménage pourtant pas ses forces pour tenter de les contenir. Accompagnée de sa grand-mère Cérès, une...