En égrenant la liste d'ouvrages, Sédah identifia un livre qu'elle eut immédiatement envie d'emprunter : Les songes lucides d'un auteur français qui s'appelait Antoine Parfait. Ils se dirigèrent tous trois vers le parc, pensant s'y installer un moment avant de rejoindre la bibliothèque.
Alors qu'ils s'engageaient dans l'une des allées, ils crurent apercevoir Osmane assis sur un vieux banc situé non loin d'une très ancienne statue d'Artémis chasseresse, sa main droite tirant une flèche de son carquois hissé à l'arrière de son épaule droite, sa main gauche posée sur les bois d'un cerf dressé sur ses pattes arrières.
Il s'agissait sans nul doute de la partie la plus anarchiquement et densément arborée du petit parc. Cette zone était traversée par un mur de fortification complètement en ruine à certains endroits. Osmane se trouvait au cœur d'un enchevêtrement d'oliviers, de palmiers, de lauriers roses, d'hibiscus, et de pins tordus.
Si au départ ils l'avaient cru seuls, au fur et à mesure qu'ils s'approchaient, ils découvrirent que ce n'était pas le cas. Ils entendaient des sanglots étouffés et des marmonnements. Ils devinèrent la présence d'Aliénor assise jambes resserrées contre sa poitrine, la tête plantée dans ses genoux. Osmane semblait la consoler.
La présence indiscrète de Sédah et de ses deux camarades, interrompit l'intimité de leur échange. Lorsque Aliénor les vit, elle se leva. Et la main d'Osmane ne réussit pas à la retenir. Elle était partie avec empressement dans la direction des dortoirs.
Contrarié, Osmane attrapa son sac, son livre, jeta un regard noir en direction de Sédah et ses amis, gênés de les avoir involontairement troublés, et il disparut dans la même direction. Sédah n'était pas seulement embarrassée par la situation, une autre émotion avait surgi. Cette découverte lui avait immédiatement serré le cœur avec une brutalité douloureuse et confondante. Osmane et Aliénor étaient-ils secrètement ensemble ? À cette idée, elle suffoqua presque. Mais qu'est-ce qui m'arrive ? (🩸 italiques)
Voyant l'anxiété qui s'était peinte sur le visage de son amie, Maddy lui attrapa le bras, et la conduisit comme si de rien était jusqu'au banc qu'Aliénor et Osmane venaient de quitter. Elle ne souhaitait pas que cet épisode ne jette de nouveau un climat de tension entre Georgios et Sédah. Maddy s'y prit si bien qu'il ne mesura pas l'intensité du bouleversement émotionnel qui était en train d'agiter intérieurement la jeune femme.
Sédah sentit la chaleureuse présence d'un oiseau qui s'était posé quelque part sur l'une de ses branches intérieures. Elle savait que c'était le rouge queue noir et cette idée l'aida à se sentir mieux. Elle regarda Maddy avec reconnaissance et cette dernière eut un petit geste de compassion discret. Georgios, loin du drame qui se jouait secrètement, fouillait dans son sac. Il en retira glorieusement des prunes qu'il partagea avec ses deux camarades. Le goût sucré et la texture juteuse du fruit enracinèrent Sédah dans la réalité du moment. Les trois amis discutèrent du cours du professeur Lunare qui faisait l'unanimité. Georgios proposa sa main à Sédah pour l'aider à se relever du banc. Mais celle-ci refusa, le vexant une nouvelle fois. Maddy fit immédiatement les gros yeux à Sédah qui releva discrètement ses épaules pour lui dire « qu'est-ce que j'aurais pu faire d'autre ! ».
Ils se rendirent ensuite à la bibliothèque où Sédah réussit à emprunter le livre d'Antoine Parfait, se réjouissant à l'idée de le lire dès qu'elle serait tranquille plus tard dans sa chambre. Même si elle eut d'abord du mal à se concentrer, revoyant en boucle l'image d'Osmane qui retenait Aliénor par la main, elle finit par réussir à se plonger dans ses devoirs et ses rattrapages. La vue sur le fort Saint Elme sous un ciel lourd de nuages embarquait parfois son regard. Un vent puissant s'était levé, s'écrasant régulièrement dans un long souffle sur les vitres de leur balconnet.
Pour une raison qu'elle ignorait, elle sentit que Georgios la regardait. Lorsqu'elle cherchait à le vérifier, il baissait les yeux et faisait semblant d'être concentré. Ce manège se reproduisit à plusieurs reprises, jusqu'à ce que leurs regards se croisent. Alors que Georgios baissait les yeux, fuyant une nouvelle fois ceux de Sédah, elle les cueillit avant qu'ils ne se réfugient dans son livre. Embarrassé d'être ainsi découvert, il se leva, prétextant avoir besoin de se rendre aux toilettes.
Lorsqu'il revint, Aka avait fait son apparition, permettant à Georgios et Sédah de passer outre leur frôlement de regards qui les avait tant gênés un instant auparavant. Aka n'avait pas son air d'insouciance habituel. Ses deux mèches de cheveux était passées d'un bleu lumineux à un gris terne et ses yeux verrons avaient pris une teinte lunaire. Sédah remarqua que de larges traces sombres lui barraient chaque œil. Elle aurait bien aimé le lui faire remarquer, mais il était d'humeur tellement ombrageuse, qu'elle n'osa pas lui adresser la parole.
Même Maddy ne se risqua pas à lui parler. Ils se regardaient tous trois, l'air de ne pas savoir quoi faire. Aka se concentra sur ses devoirs, et tout le monde en fit de même. Sédah se demanda si c'était en lien avec l'absence de Guadaloupé. Elle ne l'avait pas vue depuis la fin du dernier cours. Peut-être s'étaient-ils disputés. En tout cas, quelque chose le chiffonnait et il n'avait pas envie de s'en ouvrir à ses amis.
Numa débarqua alors qu'ils étaient sur le point de descendre. Elle ignora tout le monde, sauf Aka auquel elle demanda de rester afin de pouvoir lui parler. Ils restèrent tous les deux et tous les autres descendirent pour se rendre au réfectoire. Aliénor était installée avec Anna à l'écart. Elle ignora Sédah et ses amis.
Quant à Osmane, il ne dérogea pas à ses habitudes. Il mangea seul en lisant un livre. Il ne leva pas non plus la tête lorsqu'ils arrivèrent. Sédah s'était installée de manière à voir Aliénor et Osmane, et à guetter leurs éventuels signes de complicité. Mais ni l'un ni l'autre ne tenta d'établir le moindre contact visuel. Osmane dut se rendre compte que Sédah l'observait puisqu'il se tourna de manière à opposer son corps à sa surveillance. Aka et Numa rejoignirent Aliénor et Anna. Aka n'avait pas l'air d'être plus apaisé que plus tôt à la bibliothèque.
Numa était caressante avec lui et il semblait apprécier ses attentions. Elle remarqua qu'il s'était tendu lorsque Guadaloupé avait débarqué tout sourire, accompagnée d'un de leurs camarades de classe qui s'appelait Jackson.
Aka les regarda d'un air douloureux. Numa se coucha alors sur son bras et posa sa tête sur son épaule. Aka se retourna, comme pour essayer de passer à autre chose. Guadaloupé n'avait d'yeux que pour Jackson. Ils vinrent s'installer à leur table, invités par Maddy qui les voyait désespérément chercher une place où s'asseoir. Guadaloupé n'arrêtait pas de rire aux blagues de Jackson qui se révéla être assez drôle.
Jackson Jourdemayne, était anglais, de grande taille et de corpulence un peu forte. À y regarder de plus près, Sédah lui trouva beaucoup de charme. Elle comprit ce que Guadaloupé lui trouvait.
Il avait un humour pince-sans-rire teinté d'une pointe de cynisme et à quelques réflexions argumentées, Sédah comprit qu'il était fin et cultivé, ce qui ajouta encore à son attrait. Elle se demanda comment elle ne l'avait pas davantage remarqué avant. Le dîner se termina dans une forme de légèreté joyeuse. Guadaloupé rayonnait et ne semblait pas se préoccuper d'Aka qui avait quitté le réfectoire avec l'impétuosité fracassante d'un courant d'air.
Si l'humeur de leur tablée était joviale, dehors, le ciel s'était beaucoup assombri, en écho au tumulte intérieur d'Aka. Un vent tempétueux s'attrapait par rafales aux cimes des arbres de l'école, les secouant et couchant les plus frêles. Un orage menaçait d'éclater sur La Vallette et son lycée. C'est dans cette ambiance électrique que Sédah rejoignit les cuisines pour effectuer sa deuxième séance de plonge punitive en compagnie du magnétique Osmane.
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À samedi prochain !
Merci d'avoir lu 🖤B.
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Sédah - La fille cachée d'Hadès - T1
FantasyDepuis sa naissance, Sédah vit loin du monde. Des ombres terribles grandissent en elle, menaçant toute forme de vie qui entre à son contact. Elle ne ménage pourtant pas ses forces pour tenter de les contenir. Accompagnée de sa grand-mère Cérès, une...