Chapitre 43 - Un orage pas très naturel - partie 2

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Georgios était déjà là. Ils furent rapidement rejoints par Maddy.

— Qu'est-ce que j'ai eu peur cette nuit ! J'ai bien cru que mes fenêtres allaient s'ouvrir, s'écria Maddy.

— Je n'ai rien entendu, répliqua Sédah en s'étirant.

— Tu es incroyable ! Comment as-tu fait pour réussir à dormir avec un temps pareil ! Franchement, ça n'avait pas l'air naturel ! ajouta Maddy, avec un plissement de paupières suspicieux.

— C'est vrai que c'était étrange. Je me suis fait exactement la même réflexion que toi, surenchérit Georgios.

Lorsqu'ils arrivèrent dehors, ils prirent conscience que l'orage avait abimé quelques arbres. De nombreuses branches se trouvaient par terre, il y avait des papiers et détritus qui jonchaient le sol, sûrement emportés et déposés ici ou là par le vent. Ils croisèrent le professeur Astarté Sérapis, qui observa Sédah et ses amis avec méfiance. Elle était accompagnée d'Aka qui avait l'air particulièrement épuisé. Les traces sombres qui barraient ses yeux s'étaient encore accentuées.

— C'est bizarre ces traces non ? s'étonna Sédah en chuchotant.

Le professeur Sérapis se retourna sur elle avec la vivacité d'une vipère et elle la fixa avec une telle intensité, qu'elle baissa immédiatement les yeux.

— Quelles traces ? demandèrent Maddy et Georgios.

Sédah attendit que Aka et le professeur se soient suffisamment éloignés avant de répondre.

— Les traces noires sur les yeux d'Aka ! s'exclama-t-elle en parlant tout bas pour ne pas risquer d'être entendue.

— T'es sûre que tu es bien réveillée ? répliqua Maddy en rigolant.

Sédah sentit que ce qu'elle venait de dire n'avait pas du tout provoqué l'hilarité de Georgios. Au contraire, il avait eu l'air d'être comme foudroyé pendant un instant, avant que l'expression de son visage ne se détende.

— En fait, tu ne nous l'as pas dit, mais la foudre t'est tombée sur la tête. C'est ça ? surenchérit Maddy avec bonne humeur.

Georgios sourit, regardant Sédah d'un air étrange. Que savait-il qui lui échappait à elle ? Pourquoi était-elle la seule à voir les traces qui barraient les yeux d'Aka ? Et d'ailleurs, pourquoi Aka était-il avec le professeur Sérapis ? Encore de nouvelles questions sans réponses, pensa-t-elle. Au réfectoire, Georgios quitta Sédah et Maddy, prétextant avoir oublié quelque chose dans sa chambre.

— Maddy, je te laisse accompagner Sédah en classe. Je vous rejoins là-bas.

Et il sortit d'un pas pressé. Sédah douta de son excuse. Elle pensa qu'il allait plutôt effectuer son rapport. Qu'est-ce qui lui échappait ? Le fait qu'elle soit seule avec Maddy lui permit de confier toutes les questions qui la dévoraient.

— Tu crois que Georgios est allé voir le directeur ? Je me demande si tu ne deviens pas un peu paranoïaque.

— Je t'assure qu'Aka avait des traces sur les yeux tout à l'heure et que c'est comme ça depuis hier. Franchement, tu ne le trouves pas bizarre ? Il a l'air... déprimé. Enfin, je n'arrive pas à trouver le mot juste...

— Ben c'est normal, Guadaloupé sort avec Jackson. Il est triste voilà tout. Ça va lui passer... Pour les traces noires, c'est vrai que c'est curieux que tu sois la seule à les voir. On va essayer de chercher une explication.

Guadaloupé et Jackson les rejoignirent justement, ce qui interrompit leur conversation. Guadaloupé était toujours aussi radieuse. Et la conversation reprit autour des cours qui allaient se dérouler dans la matinée. Jackson parla de son intérêt pour les récits originels. Il évoqua Les Travaux et les Jours du poète grec Hésiode.

— J'ai adoré le passage dans lequel Hésiode évoque l'origine du monde et les dieux primitifs.

— Tu veux parler de Chaos ? demanda Sédah.

— Hésiode parle également de la Béance, répondit Jackson, heureux de l'intérêt qu'elle portait à la discussion.

— Et alors ? Qu'est-ce qui t'a marqué ? surenchérit-elle.

— C'est assez cauchemardesque en fait. Il décrit l'origine comme un vide obscur, un espace de chute, ou encore un abîme de vertige et de confusion, puis il évoque cette gueule immense qui engloutit tout dans une nuit magmatique et indifférenciée. Il décrit ensuite l'avènement de la Terre, Gaïa, qui surgit au sein de la Béance. La scène est émouvante et monstrueuse tout à la fois vous ne trouvez pas ? Ensuite, j'aime beaucoup sa manière de décrire la Terre comme un socle créateur, à la fois ferme et tangible qui s'élève vers le haut, formant les montagnes et s'enfonçant vers le bas, jusqu'à façonner le monde souterrain, à la fois racine et tombeau de la vie.

Puis il évoqua les différentes entités qu'elle avait enfantées et insista sur la manière dont, collé à Gaïa, la recouvrant entièrement, Ouranos ne s'était jamais dégagé d'elle, maintenant leurs enfants bloqués en son sein. L'évocation des enfants piégés entre Gaïa et Ouranos aspira Sédah dans un vieux souvenir. Elle devait être âgée de sept ans à peine et habitait donc encore dans le jardin des Hespérides. Elle s'en souvint car c'est l'unique fois où Sédah avait vu sa grand-mère Cérès en proie à un désordre émotionnel, et à bien y réfléchir, à une émotion tout court.

Elles étaient attablées dans le salon avec sa mère adoptive Hespérie et ses tantes Églé et Érythie. Son père adoptif Ladon s'apprêtait à servir le déjeuner, mais il avait été interrompu par une série de petites secousses. À sa très grande surprise, une expression indescriptible s'était comme emparée du visage de sa grand-mère. Celle-ci s'était redressée brusquement et s'était mise à apposer ses mains de manière désordonnée sur les murs, et à différents endroits du sol en psalmodiant. Elle avait d'abord cru que sa grand-mère était devenue folle. Mais au bout d'un certain temps, elle avait compris qu'elle était épouvantée. Quelques temps plus tard, elle lui avait expliqué qu'elle avait cru avoir offensé la déesse mère Gaïa, évoquant ses terribles excès de colère. Avec du recul, elle prit subitement conscience que c'était son arrière-arrière-grand-mère. À cette idée, elle sentit un frisson glacé lui parcourir l'échine.

— Quelle redoutable lignée ! pensa-t-elle.

— Pourvu que je n'ai jamais affaire à son courroux ! ajouta-t-elle pour elle-même dans un soupir.

Puis elle fut de nouveau happée par la conversation de ses amis dont le sujet s'était déplacé entre temps sur la brutalité de l'orage qui avait frappé La Valette dans la nuit. Maddy s'était alors lancée dans un grand éclat de rire en rappelant le fait que Sédah n'avait étonnamment rien entendu.

— Moi non plus je n'ai rien entendu ! déclara Guadaloupé en riant de bon cœur.

— Vous étiez piégées au pays de Morphé ! s'amusa Jackson en tapotant gentiment le sommet de la tête de Guadaloupé qui fit une moue boudeuse avant d'ajouter :

— Je devais être piégée dans un songe avec toi...

Et ses yeux papillonnèrent exagérément avant de se poser sur ceux du jeune homme qui feignit la surprise. Elle couronna la scène en ajoutant un sourire béat tellement surjoué, qu'ils éclatèrent tous de rire. La scène était si hilarante, que même l'arrivée d'Aka ne parvint à doucher la bonne humeur générale. Le pauvre était allé s'asseoir tout seul. Les traces noires lui barraient toujours les yeux. Il regarda Sédah fixement, puis baissa tristement les yeux sur son plateau.

L'attitude d'Aliénor l'intrigua également. Elle était avec Numa et Anna. Elle avait le regard absent et ne semblait pas du tout prêter attention à Osmane qui était lui aussi tout seul à une table, penché sur un livre ouvert, sa mèche lui masquant une partie du visage. Elle repensa à la veille et se demanda pourquoi il lui avait dit qu'elle ne comprenait rien.

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À samedi prochain !

B. 🖤

Sédah - La fille cachée d'Hadès - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant