Chapitre 52 - La bouche du royaume des morts - partie 2

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Après quelques instants, elle revint complètement à elle et devina ce qui venait de se passer. Le lacis de veines noires qui se tordaient nerveusement à la surface de sa main témoignait de l'intense combat qu'elle venait de livrer contre ses propres ombres qui avaient finalement reflué. Un frisson d'effroi la parcourut en remarquant que la main d'Osmane avait été touchée par ses ténèbres. Son regard se porta instinctivement vers ses yeux, qui la fixaient intensément et elle vit que ses prunelles avaient noirci et s'étaient piquetées de minuscules tâches rouges. Cette vision la frappa directement au cœur.

Que s'est-il passé ? pensa-t-elle.

Osmane, s'était déjà replongé dans l'action. Elle se tourna lentement vers Maddy, tout aussi absorbée. Son regard descendit jusqu'à sa propre main nervurée de noir, avant de glisser vers celle de Maddy qui était semblable à de l'écorce. Son attention fut appelée par une mèche qui s'était décroché de sa chevelure qui s'était rassemblée en un large houppier. Elle fut émerveillée de voir des reflets orange-cuivrés exalter fiévreusement ses majestueuses ramures. Les yeux de Maddy se portèrent sur elle, et Sédah fut médusée par leur éclat vert évoquant l'intensité printanière des jeunes feuilles de mai. Aka l'impressionna tout autant. Les zébrures qui hachuraient son visage s'étaient accentuées, et une vigueur animale paraissait l'animer. Ses yeux étaient rivés sur leurs ennemis qui cherchaient toujours à percer la barrière de protection formée par Umbra. Cette dernière se mit à virevolter au-dessus d'eux dans ses atours d'ombres. Elle s'était métamorphosée et entretenait le cercle de fumée, son corps et son visage apparaissant et disparaissant dans les épaisses volutes noires. Elle leur adressa alors un message mentalement :

Vous n'êtes pas prêts à affronter les créatures d'Hadès. Vous devez fuir ! La barrière ne les arrêtera pas très longtemps. À mon signal, vous plongerez vos mains à plat contre la terre. Je m'occuperai du reste. Vous devrez tout de suite fuir. Sédah, tu utiliseras ton chante-cri pour faire diversion et vous courrez à la bibliothèque. J'ai organisé votre fuite. Vous savez que le chante-cri peut vous étourdir, il est fondamental que vous vous teniez les mains en cercle, comme maintenant au moment où tu souffleras dedans Sédah. Le cercle vous protègera, car le porteur du chante-cri ne sera pas affecté. Si vous vous tenez les mains, vous ne serez pas touchés non plus. Est-ce que vous avez bien compris ?

Ils répondirent tous par l'affirmative.

— Et toi Umbra ? s'inquiéta Sédah.

— Ne te préoccupe pas de moi, je vous retrouverai dès que je le pourrai, répondit-elle avec une assurance sécurisante.

En cet instant, ils sentirent que les créatures infernales tournoyaient puissamment autour d'eux en sens inverse, cherchant à dissiper la frontière magique qu'Umbra avait matérialisée entre eux. Afin d'augmenter leur puissance, elles se mirent à absorber l'énergie vitale des arbres et des êtres vivants qui se trouvaient autour d'eux. Maddy se mit aussitôt à hurler. Elle sentait la souffrance des créatures vivantes situées alentour, ce qui fragilisa leur ancrage. Umbra avait raison, ils ne tiendraient plus très longtemps.

À l'extérieur du cercle, Georgios s'affaiblissait, il était à quatre pattes, son âme résistant à peine aux exhortations des créatures d'Hadès. Il pensa alors à Hermès dont il était l'obligé.

— Où es-tu ? Alors tu vas me laisser mourir... Je te sers donc davantage mort que vif. Quel monstre ! Tu me sacrifies à tes manigances. Tu vas jusque-là ! Je te hais ! Je te déteste Hermès !

Comme chacun des membres de la lignée des Céryces, il était né pour le servir. Son existence lui était dévoué depuis toujours. Il avait grandi dans une allégeance malsaine, le dieu l'obligeant à accomplir toutes sortes de tâches répugnantes. Il y en avait eu tellement. Il repensa surtout à l'obligation qu'il avait eu d'épier les faits et gestes de Sédah depuis le premier jour, à l'enveloppe qu'il l'avait forcé à déposer sous sa porte, aux mouchards qu'il l'avait sommé d'installer dans sa chambre. Il avait rendu sa vie pathétique. Il s'en voulait de ne pas lui avoir résisté. Il en avait eu si souvent envie ! Pour Sédah, il avait presque réussi. Mais le contrat qui le liait à Hermès lui interdisait la déloyauté. Une tristesse infinie l'envahit. Hermès était en train de le laisser mourir sans le moindre état d'âme, lui et tous ses camarades de La Valette, tout cela pour d'obscures raisons politiques. En cet instant, il le honnissait. Il était à ses yeux, le plus méprisable de tous les dieux. Derrière ses manières affables, tout n'était que machinations, et tous les êtres qui l'entouraient ne se réduisaient qu'à de misérables pions sur un échiquier dont lui seul percevait la logique et la visée. S'il en avait eu l'énergie, il aurait hurlé sa colère. Mais il était à bout. Ses forces le quittaient. Désormais, à mi-chemin entre la vie et la mort, toute son âme désira conjurer l'obligation qui le liait à Hermès. En guise de dernier vœu, il souhaita être libéré de lui.

Sédah - La fille cachée d'Hadès - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant