Chapitre 57 - Des bras d'eau importuns - transition

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Alors que la mer s'agitait de nouveau fortement, Cérès s'installa en cercle avec les quatre membres du pacte. Elle posa l'une de ses main sur la tête d'Aka, l'autre sur les ramilles de Maddy dont Sédah pinçait une minuscule branche entre son pouce et son index, son autre paume reposant sur le pelage dorsal d'Osmane qui bouclait ce cercle pour le moins insolite en posant sa patte sur celle d'Aka.

Le cercle était au complet. Cérès projeta aussitôt l'image d'un navire dans sa tête. Et chacun des membres contribua à la composition de ce tableau illusoire. Sédah en renforça les détails et la netteté. Cérès fit apparaître une jeune femme ressemblant trait pour trait à Sédah avec sa silhouette frêle, son teint de nacre et ses longs cheveux noirs battus par le vent. Maddy, Osmane et Aka en renforcèrent là encore la vraisemblance, ajoutant des détails ici et là. La jeune déesse projeta alors l'image d'un matelot, auquel elle prêta les traits d'un vieil inconnu qu'elle avait croisé sur l'île de Malte et qui avait particulièrement frappé sa mémoire en raison de ses dents abîmées et de son teint buriné. Le portrait fut immédiatement détaillé. Les autres ajoutèrent des précisions par petites touches. Ils peaufinèrent encore le tableau d'ensemble. Aka fut d'une grande  aide pour imaginer l'équipement du bateau. Il ajouta une bite d'amarrage à l'avant et à l'arrière, un mât de charge tripode à l'avant, un gouvernail comprenant un safran en bois, une barre franche en bois, etc. L'illusion était bluffante. Lorsqu'ils se représentèrent le navire en train de quitter Malte depuis la baie d'Ellis Rock en direction de Monastir, la mer n'était encore que modestement agitée. Projetés dans la navigation de ce faux navire qui ne masquait pas sa signature, elle ne tarda pas à se tourmenter follement. Bientôt, d'immenses vagues en léchaient le bastingage.

L'avatar de Sédah s'était réfugié dans une cabine et le vieux matelot s'accrochait à son gouvernail, enfermé dans sa cabine de pilotage. Des bras d'eau fouillaient le navire, recherchant la fille de l'ombre. Les membres du cercle étaient successivement pris de mal de mer, vomissant leurs entrailles, mais parvenaient encore à maintenir l'illusion. Le dieu de la mer, aidé par ses néréïdes s'acharnait sur l'illusion jusqu'au moment où il comprit la supercherie. Sa fureur se déchaîna alors terriblement. Il chercha à se saisir de la signature de l'illusion et à la remonter. Cérès, solidement arrimée à leur véritable navire grâce à Aliénor sur laquelle elle était assise, brisa l'illusion. Elle sortit immédiatement et demanda combien de temps il leur restait avant d'arriver à destination. Le plus jeune des matelots lui répondit qu'il leur restait encore une heure avant d'accoster. À peine était-elle revenue en cabine que la houle se mit de nouveau à tourmenter le bateau.

— Et si nous faisions croire que tu es restée sur l'île ? réfléchit Cérès tout haut.

— Afin de minimiser les effets de la colère de Poséidon ou d'Hadès sur la population maltaise, nous pourrions situer ta présence au temple de calcaire de Mnajdra. Ce serait assez logique que tu trouves refuge là-bas. Il n'y a pas d'habitants à proximité.

Alors que la mer se déchaînait, que le ciel commençait à vrombir au-dessus de leurs têtes, Cérès se réinstalla dans le cercle. Ils reprirent physiquement contact les uns avec les autres, le cercle menaçant de se défaire en raison des mouvements de houle qui déplaçaient les objets et notamment Maddy. Cérès projeta son esprit dans le temple de calcaire qu'elle connaissait bien. Elle y projeta l'image de Sédah, en train de s'abriter dans les galeries.

— Sédah ! Projette tes ombres dans l'illusion maintenant ! lui ordonna-t-elle mentalement.

La jeune déesse s'exécuta. Elle projeta ses ombres qui se répandirent partout autour de ce nouvel avatar. Puis elle se concentra pour arrêter le processus et ne pas s'y laisser absorber. Sédah remarqua l'agitation de Brune qui s'inquiétait sûrement de la situation. Elle perçut également les vibrations émises par les ronronnements d'Osmane de sa main droite et les pulsations de la sève qui animaient Maddy de sa main gauche. Avec de tels ancrages, elle parvint à maîtriser les ombres. La signature fut suffisamment forte, puisque la mer et le ciel se calmèrent quasi instantanément autour d'eux. Ils restaient fermement concentrés sur l'illusion distante qu'ils avaient générée. Ils discernèrent bientôt l'imposante présence du roi des morts en personne.

Dans les vapeurs brumeuses souterraines, ils crurent distinguer son auguste carrure. Sa voix gutturale résonna à travers les veines les plus profondes de la terre, répondant en écho à l'appel des ombres. Alors qu'ils accostaient sur la terre de Sicile, le dieu des Enfers se rendit compte de cette nouvelle supercherie, et un râle abyssal retentit avec tant de véhémence que le cercle et l'illusion se rompirent immédiatement. Sédah fut projetée en arrière avec une violence inouïe, Cérès manqua de tomber mais se rattrapa in extremis. Le pot de Maddy se brisa, Osmane feula et Aka couina, tous deux projetés contre les parois de la cabine. Sédah était très secouée, mais bon an mal an, elle parvint à se relever. Paniquée, Brune sortit de la poche ventrale de son sweet toute titubante. En remarquant que le pot du bonzaï s'était brisé, Sédah se précipita dessus, des sanglots bloqués dans la gorge. Elle caressa les ramures du petit arbre, et sa réaction la rassura. Elle rassembla ses morceaux, enleva son sweet-shirt et y déposa le petit arbre avec ses racines et la terre qu'elle réussit à rassembler dans la capuche. Elle tendit son bras pour qu'Osmane puisse se réinstaller sur ses épaules. Les matelots avaient ouvert la porte. Brune avait accepté de monter dans les bras de Cérès.

— J'espère que ça n'a pas trop secoué. C'était complètement fou ce voyage. La tempête se levait, puis se calmait brutalement. On n'a jamais vu ça !

— À un moment, ça s'est tellement levé qu'on a bien cru qu'on allait y passer, ajouta le matelot le plus âgé.

— Quand je vais le dire aux copains, ils ne vont pas me croire.

Le jeune matelot caressa Aka, le grattant derrière les oreilles. Ils installèrent le petit ponton et débarquèrent la petite équipée sur la marina du port de San Leone. Cérès leur tendit une épaisse liasse de billets.

— Merci M'dam ! On sera là quand vous voudrez ! Vous savez où nous trouver ! Bon séjour ! Aurevoir Carlito !

Les matelots avaient l'air soulagé d'être à terre. Ils ne tardèrent pas à tourner les talons afin d'arrimer correctement leur navire. Cérès et les autres remontèrent alors lentement la jetée vers le port en saluant les matelots de la main une dernière fois.

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Merci d'avoir lu et à samedi prochain pour la suite de l'aventure... 🌚

B. 🖤

Sédah - La fille cachée d'Hadès - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant