Chapitre 59 - Les menaces d'Hadès - partie 3

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Hermès prévint Cérès en songe que son frère Hadès était furieux. Il venait d'apprendre à ses dépens qu'il avait une fille cachée. Celle-ci avait eu l'impudence de lui ravir une âme et il avait eu la désagréable surprise d'apprendre que Cérès était sa protectrice. Il exigeait que sa fille lui soit restituée afin qu'elle expie sa faute et que son honneur de père soit légitimement rétabli. Il insista ensuite sur les conséquences terribles que la désobéissance de sa fille aurait sur la vie terrestre.

Hermès en profita pour lui indiquer qu'après un court séjour parmi les morts, son protégé, le jeune Céryces, était miraculeusement revenu à la vie. Il précisa que depuis, chaque nuit, le malheureux était tyrannisé par des créatures démoniaques qui hantaient ses songes, le projetant dans des cauchemars d'une telle intensité qu'il manquait à chaque fois d'en perdre la raison. Il évoqua son infinie tristesse lorsque son protégé lui avait été arraché par les créatures du dessous, et son immense joie de l'avoir retrouvé. Il tint à exprimer la profonde gratitude qu'il éprouvait pour la divine fille d'Hadès qu'il s'engageait, envers et contre tous, à soutenir sans faillir. Cérès ne prit pas le risque de répondre à Hermès. Elle ne connaissait que trop bien sa perfidie ! Elle savait qu'il ne manquerait pas de retracer la signature de son message afin de monnayer cette information auprès d'Hadès ou de Zeus. Elle connaissait l'esprit de machination d'Hermès. Elle l'avait vu à l'œuvre bien des fois par le passé et avait appris à s'en méfier.

Cérès ferma son esprit et se mit à réfléchir aux conséquences de ce qu'Hermès venait de lui apprendre. Sédah avait piqué la curiosité de son père qui connaissait désormais son existence. Elle savait qu'il la traquerait désormais sans relâche. Sédah représentait pour Hadès le moyen de déplacer l'ordre établi et de tenter d'étendre sa souveraineté au monde terrestre. Si Zeus pensait avoir été juste dans la répartition du pouvoir entre lui-même et ses frères, Hadès se sentait lésé. Cérès le savait. S'il avait d'abord apprécié le fait d'être craint, elle savait qu'il s'était rapidement senti mésestimé et qu'il en souffrait. Dans ses allers et venues périodiques entre les mondes terrestre et souterrain, Perséphone, sa fille, lui racontait combien la rancœur et la jalousie qu'éprouvait son époux Hadès à l'égard de Zeus gangrénaient son cœur. Sédah lui donnait une occasion de renverser la donne. C'était la préfiguration du pire des scénarios pour la jeune déesse, comme pour le monde terrestre. Cérès ressassa toute la nuit. Le message d'Hermès la hantait. Elle savait qu'elle n'avait désormais qu'une seule option : réveiller l'intégralité du don de sa petite fille et armer le pacte et ses membres. Elle espérait avoir opté pour la bonne décision en venant en Sicile et priait pour que le don de vie de Sédah se révèle au plus vite. Il était indispensable qu'elle gagne en puissance afin d'être à même de résister à l'autorité de son père ou de ses oncles Zeus et Poséidon.

Le temps dira si j'ai agi dans l'intérêt du monde terrestre et si j'ai réussi à créer chez Sédah suffisamment d'attachement pour la vie, se dit-elle alors intérieurement.

Lorsqu'elle observait sa façon de se comporter avec ses amis, elle n'en doutait pas. Elle se montrait pleine d'attention et de prévenance à leur égard. N'était-ce pas la preuve qu'elle avait réussi à lui faire aimer et respecter la vie ? C'est ce qu'elle aimait à penser. Sa petite fille, pourtant dotée d'un puissant pouvoir d'anéantissement, éprouvait des émotions qu'elle-même, pourtant proche des terrestres, ne parvenait pas à éprouver. Elle voyait bien qu'elle les blessait, mais elle était incapable de faire autrement. Elle n'avait aucune empathie pour eux. Elle était une vieille déesse fatiguée. Et ils causaient tant de souffrance à la terre ! Elle entendait souvent Gaïa, sa grand-mère, déesse de la terre, pleurer, elle jadis si féconde, elle dont les sous-sols s'appauvrissaient année après année sous le joug ingrat des modes de vie démesurés de ces animaux prétentieux. Elle, que la vie végétale ne protégeait plus suffisamment ni du dieu du soleil Hélios, ni du dieu du vent Éole. Gaïa, autrefois si généreuse avec les humains, commençait à n'avoir que mépris pour eux qui ne la célébraient plus, qui ne la respectaient plus, lui fouillant les entrailles avec leurs produits chimiques et leurs machines terribles. Cérès sentait bien que ses efforts pour maintenir des récoltes abondantes étaient de plus en plus difficiles. Elle aussi se sentait usée par l'attitude des hommes et des femmes. Elle plaçait en Sédah de nouveaux espoirs. Quel royaume choisirait-elle ? De quel côté ferait-elle pencher la balance ? Deviendrait-elle fléau ou secours pour les terrestres ? Seul l'avenir le lui dirait. Elle avait l'impression d'avoir fait son possible pour orienter son choix. Il était quatre heures du matin. Cérès resta encore tranquillement allongée à réfléchir pendant une dizaine de minutes, son corps d'humaine prenant du plaisir à prolonger un peu son repos.

Sédah - La fille cachée d'Hadès - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant