Sédah - La fille cachée d'Hadès - T1

Chapitre 77 - Les mâchoires de Gaïa - fin

Il fixait la route avec  détermination. Sédah eut un mauvais pressentiment. Elle aurait aimé  pouvoir échanger avec Osmane, mais ce dernier semblait trop occupé à  lutter pour ne pas s'évanouir. Sédah se sentit subitement immensément  fatiguée. Elle avait la sensation qu'elle ne parviendrait pas à échapper  au poids de ce destin qui l'accablait. Alors qu'ils se dirigeaient hors  de la ville, elle décida de s'en remettre à la providence. Nicaea  s'était tournée vers sa fenêtre et paraissait concentrée sur le paysage  qui défilait sur sa droite. Du coin de l'œil, Sédah sentit le regard de  Georgios peser sur elle à travers le rétroviseur intérieur. Elle releva  ses yeux et le fixa. Elle fut intriguée par l'étrange résolution qu'elle  y lut. Et à mesure que leur contact s'approfondissait, elle perçut tout  un entremêlement d'impressions. Quelque chose en Georgios avait  foncièrement changé, mais elle ne savait pas en définir la nature. Il  était comme déraciné, comme s'il n'était plus tout à fait humain. Et  elle se souvint alors qu'une partie de son âme avait été arrachée par la  furie alors qu'ils s'enfuyaient sur le dos du dragon noir. Elle  ressentit le lien puissant qui l'unissait à lui, très différent de celui  qu'elle partageait avec Osmane. Et pourtant, elle n'aurait su le  caractériser. Mille questions se bousculèrent dans sa tête. Elle  l'observait avec une curiosité qui ne cessait de s'approfondir. Et  Georgios ne la quittait pas du regard. Ses yeux étaient rivés dans les  siens, semblant lui hurlait un message qu'elle ne saisissait pas. 

Nicaea se retourna alors vers lui et Georgios reprit aussitôt sa mine  impertubable et concentrée, si bien que Sédah crut un instant qu'elle  avait rêvé. 

— Que lui est-il  arrivé ? Cherchait-il à me dire quelque chose ? se demanda-t-elle encore  ahurie par cet échange de regards appuyé. 

Ses pensées furent interrompues par l'effondrement  d'Aliénor sur les genoux d'Aka. Ses yeux s'étaient mis à rouler dans ses  orbites. Ses paupières papillonnaient, s'ouvrant et se fermant, et son  corps semblait parcouru de crampes et de spasmes. Elle avait une vision.  Maddy l'avait tout de suite compris et elle avait tant bien que mal  réussi à dissimuler l'événement aux yeux de Georgios et Nicaea. Lorsque  la vision s'acheva, Aliénor se redressa livide. Elle regarda Sédah, Aka  et Maddy d'un air affolé qui fit immédiatement monter une vive tension.  Elle se rapprocha discrètement de Sédah et murmura à son oreille : 

— Nous avons été trompés. Il faut que l'on sorte immédiatement d'ici. 

La voix d'Aliénor était tellement angoissée que Sédah sentit ses  entrailles se serrer. Son intuition ne l'avait pas trompée. Quelque chose ne tournait pas rond. Elle l'avait senti dès le moment où Aliénor  avait passé le coup de téléphone. En voyant la réaction de Sédah, Aka et  Maddy devinèrent que leur situation n'était pas bonne du tout.  Nicaea  se retourna, percevant une étrange agitation et les examina avec  suspicion. À ce moment-là, Georgios pila vigoureusement, stoppant net le  véhicule. La terre s'était mise à trembler et une gigantesque crevasse  déchirait la route devant eux, engouffrant tout ce qui se trouvait à  proximité. Il était trop tard pour échapper à la vision d'Aliénor.  Celle-ci le comprit immédiatement. Les images qu'elle venait de  percevoir se télescopaient avec la réalité sous son regard horrifié.  Bien que très remuée par la brutalité du freinage, Aliénor n'eut plus qu'une obsession : éviter que sa vision ne s'accomplisse jusqu'à son  terme. Elle se précipita alors sauvagement sur Sédah qui semblait  hébétée. Elle lui saisit les épaules et lui hurla :

— Sédah, il ne faudra pas que tu restes dans le véhicule tu m'entends !  Tu me le promets Sédah ! Tu ne dois à aucun prix y rester, même pour  Osmane. 

Aliénor la secouait de  toutes ses forces, des sanglots lui embuant les yeux et faisant trembler  sa voix. Tout le monde était très secoué. Osmane gisait évanoui. Et  lorsque Sédah reprit ses esprits, comprenant à peine ce qu'Aliénor  venait de lui dire, elle vit Osmane et plus rien n'eut alors d'existence  pour elle. Elle se jeta sur lui de toutes ses forces et attrapa son  visage entre ses mains. 

— Osmane tu m'entends ? Réveille-toi ! Je t'en prie, dis-moi que tu vas bien ! 

  Mais Osmane ne répondit pas. Il avait perdu connaissance. Sédah se  rendit compte que sa blessure saignait. Elle se tourna vers Maddy qui  était encore en état de choc. Elle ne paraissait pas l'entendre. 

— Maddy ! Aide-moi ! S'il te plaît, regarde, il ne se réveille pas. Fais quelque chose Maddy ! 

Mais cette dernière demeurait pétrifiée. Quant à Aka, il saignait au  niveau du front et se frottait la tête. Il s'était cogné au moment du freinage et semblait déboussolé.

— Fais marche arrière Georgios ! Tout de suite ! hurla alors Nicaea.

Avec un sang froid extraordinaire, Georgios s'exécuta. Après quelques  manœuvres, il réussit à faire repartir l'utilitaire. Il se dirigea sur une petite route qui bordait la côte. Mais assez  rapidement, de nouveaux tremblements les interrompirent définitivement.  La terre se crevassa aux pieds du véhicule qui se mit à pencher vers  l'avant. Georgios stoppa le véhicule. Avec Nicaea, ils  en sortirent immédiatement, comprenant qu'ils n'avaient plus le choix.  Ils se précipitèrent à l'arrière pour aider les cinq passagers à  s'échapper avant qu'un dernier caprice de Gaïa ne les engloutisse. Aka  et Maddy descendirent les premiers, mais comme Aliénor s'y attendait,  Sédah refusait d'abandonner Osmane dont le corps inanimé avait roulé  vers l'avant, ses membres  tristement désarticulés. Le véhicule continuait de  s'enfoncer lentement, la condamnant aussi sûrement qu'Osmane à la mort. En dépit des supplications d'Aliénor qui assistait, impuissante, à  l'avènement du drame qu'elle redoutait tant, Sédah s'obstinait à ne pas  vouloir quitter l'utilitaire. Elle parvint à déplacer un peu le corps  d'Osmane, mais malgré leurs efforts, les autres n'avaient pas assez de  prise pour le hisser hors du véhicule. C'est alors que la terre se mit  de nouveau à trembler, coupant court à ces tentatives éperdues. Elle  s'empara d'abord d'une roue, puis, sous l'effet du poids, le véhicule se  mit à basculer plus franchement. Maddy, dans un prodigieux sursaut  d'énergie, se mit alors à connecter tout le réseau racinaire alentour et  à le déployer autour du véhicule, l'enchâssant telle une araignée dans  sa toile. Impressionnée par les pouvoirs de la jeune fille, Nicaea vint  immédiatement soutenir ses efforts. Ainsi maintenu, Aliénor parvint à  s'extraire in extremis de l'utilitaire. Ses yeux étaient rouges d'avoir  tant pleuré, et les traits de son visage étaient dévastés par le court  effroyable des événements. Aussitôt qu'elle fut dehors, elle fit une  dernière tentative :

— Sédah ! Sors maintenant ! hurla-t-elle, la voix érayée à force d'avoir crié. 

Un grondement affamé eut raison de la fragile toile racinaire  soutenue par Maddy et Nicaea. Ils assistèrent à une scène  terrible. Sédah et Osmane sombrèrent sous leurs yeux dans les entrailles  béantes de la terre. Puis, ses divines mâchoires se refermèrent sur le  véhicule, les engloutissant dans ses profondeurs obscures. Alors qu'un  silence de mort s'abattait à la surface, Sédah sentit le corps d'Osmane  tout contre le sien. 

— Mes enfants, je vous accueille. Vous êtes sous ma protection. Reposez-vous. Dormez. Gaïa vous berce.

Et la terre vibra chaleureusement, plongeant la déesse des ombres et le dragon noir dans un profond sommeil. 

                     - Suite à venir -

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B. 🖤