Chapitre 09 : Si j'ai eu raison de rester

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PIPPO

SICILE, ADRANO

OCTOBRE

Alors papa, tu vas rester pour soutenir mon pote Giuliano ? Celui que tu as pris sous ton aile avec tant de dévouement à la boxe ?

Loris me lance un regard chargé d'un espoir presque désespéré. Il attend avec une patience de saint, que je ne mette pas en œuvre ma menace, que je ne le laisse pas en plan, comme le dernier des losers.

Lorsque j'ai décidé de prendre ces jeunes sous mon aile, ce n'était pas juste un moyen pour meubler le temps. C'était un challenge, une mission. Je leur ai promis un dévouement total, une fidélité à toute épreuve, espérant en retour un engagement similaire de leur part. Ces principes sont le socle de l'arène. Si ces jeunes lions déconnent,  flanchent et franchissent par la même occasion les lignes de démarcations, ils sont directement dehors, sans appel.

Ma règle est limpide. Pas de compromis. Pas d'exceptions.

Peu importe leurs excuses ou supplications, ma décision est irrévocable. Ça ne me fait ni chaud, ni froid. Ma réputation de coach sérieux est tout ce qui repose là-dessus. Implacable. Sans cette rigueur de fer, comment pourrais-je leur demander de tutoyer les sommets ?

Je repense à ce jeune homme, au chemin qu'il a parcouru jusqu'ici. Sa ponctualité, son sérieux, sa détermination. Il cravachait dur, ne baissait pas les bras, quels que soient les obstacles ou les conditions météorologiques ou encore les caprices de la vie.

Aujourd'hui, une réflexion fulgurante me frappe : comment pourrais-je envisager de le laisser tomber, de m'éclipser à la sauvette, alors qu'il a été un cazzo (putain) de modèle de ténacité ? Ce serait me renier moi-même, bafouer mon intégrité.

L'abandonner ? Hors de question. Ça me paraît maintenant une évidence quand j'y réfléchis.

Effectivement, Loris, tu as touché juste. Passer à côté de son potentiel serait d'une injustice criante.

Ma voix trahit une conviction qui sonne aussi vraie que l'acier, me rappelant pourquoi j'ai été poussé à coacher.

Loris affiche un sourire, se délectant d'un souvenir marquant qui me concerne :

Franchement, si on réfléchit bien, ça ne pourrait pas être pire que le délire chez Franco. Tu te souviens, cette création qu'il a osé qualifier de coupe de cheveux. Sans parler de ta barbe. Comment tu as pu lui filer les rênes ?

Bah, il est âgé, on ne peut pas trop lui en vouloir, je rectifie, essayant de rester tolérant avec lui.

Oui. Mais, de là à ne rien ressembler.

Je laisse échapper un rire, un peu gêné, en repensant à ce jour mémorable chez mon ancien barbier. L'homme n'était pas dans sa prime jeunesse, et je n'avais pas le cœur de lui reprocher sa technique un peu... flottante avec les ciseaux et le rasoir. Résultat, les derniers temps, je me pointais avec un visage égratigné. On aurait dit que j'avais subi une attaque de moustiques féroces.

Ma barbe, elle n'est pas si terrible, si ? je demande, un peu surpris et piqué.

Disons que ça mériterait un peu plus de... précision, se permet-il, avec une audace complice.

Loris, retenant un rire imminent, se mord la lèvre inférieure, ses yeux brillants de malice. Évidemment, il se retient, par respect pour moi.

Minchia ! Tu insinues que j'ai un look à l'abandon ? Que j'ai l'air négligé ?

L'envol de la triskèleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant