L'envol de la triskèle

Chapitre 50 : C'est l'heure de décrocher

PIPPO

SICILE, ADRANO

MARS

Je la sens nerveuse sous mes doigts alors que je nettoie son front maculé de terre. Au début, un sourire se dessine sur mes lèvres, touché par son embarras. Mais, rapidement, une sensation différente s'infiltre en moi, une attirance qui s'intensifie, presque irrésistible, alors que mes doigts explorent la texture de sa peau et que son parfum, léger et frais, emplit mes narines.

L'envie de franchir le pas, de la prendre dans mes bras, de sentir son souffle chaud se mêler au mien devient pressant. Cependant, je me contiens. Si je désire avoir une chance, je ne dois pas précipiter les choses. Pas encore.

─ Vous voulez bien m'aider à préparer les carottes et le céleri ?

─ Oui, avec plaisir, répond-elle, en ayant la délicatesse de rougir et de me remercier pour l'aide que je lui ai apporté.

Je me retrouve confronté aux sujets que je souhaiterais laisser derrière moi. D'un côté, il y a cette femme que je dois aborder sans la brusquer, et de l'autre, la bataille incessante pour maintenir un lien solide avec ma fille, malgré les kilomètres qui étirent l'espace entre nous. Ses reproches me rappellent sans cesse ma décision de revenir ici, en Sicile.

─ Comment avez-vous fait la connaissance d'une femme belge, si ce n'est pas trop indiscret ?

─ Je suis parti là-bas pour essayer de construire un avenir plus prospère. J'espérais m'adapter, mais mon cœur restait accroché à mes racines. La nostalgie de la Sicile était trop forte. Là-bas, le soleil se cachait souvent derrière un ciel pluvieux, je lui révèle, lui faisant comprendre ce sentiment d'appartenance qui m'étouffait.

─ J'ignorais que vous aviez vécu à l'étranger aussi.

─ Quelques années. C'est là que j'ai bossé en tant que plombier. J'ai bricolé, innové, touché au métier que j'ai appris.

Elle me passe la carotte épluchée avec un hochement de tête complice, signe qu'elle est pendue à mes lèvres. Pendant que je tranche le légume, je me lance dans mon récit.

─ Côté cœur, je n'ai pas toujours été avisé, je commence à lui raconter. La mère de mes fils s'est retrouvée enceinte alors que nous n'étions même pas mariés. Il y a vingt ans, ce n'était pas encore une normalité d'avoir des enfants sans être marié. Ça a donné du grain à moudre aux langues pendues qui ont jasé.

─ Les fameux ragots de village, intervient-elle, pointant une autre carotte pelée vers moi. Qu'est-ce qu'on ferait sans eux ?

─ On s'ennuierait ferme, je réplique avec un rire léger. Ils m'ont pas mal desservi, c'est certain. Ne pas épouser la mère de mes fils a fini par sceller mon sort, par me coller une étiquette.

Elle s'immobilise, un instant suspendue dans le fil de ma confession. Est-elle déçue ? Son visage reste neutre pendant que je me livre à cœur ouvert, lui racontant comment j'ai partagé ma vie avec la mère de mes fils pendant des années, avant que ça n'aille plus entre nous et que je prenne un nouveau départ en Belgique.

Là-bas, je lui révèle que j'ai croisé le chemin d'une autre femme avec qui j'ai cru construire un avenir en me mariant avec elle. Que de cette union est née une petite fille, ma fierté, jusqu'à ce que la vie, cette sacrée farceuse, vienne à nouveau tout chambouler. Quand ma fille est devenue une jeune adolescente, j'ai senti le besoin viscéral de revenir ici, pour ne plus en repartir.