Chapitre 63 : Ouvrir le bar-trattoria

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PIPPO

SICILE, ADRANO

MAI

Après avoir raccroché, j'enflamme une autre clope, la flamme du zippo dansant brièvement dans l'ombre. Avec un geste négligent, je lance le mégot qui fait des étincelles sur le bitume, avant de disparaître dans la nuit. Caché par l'obscurité, je suis un spectateur invisible.

Un sourire en coin se fraye un chemin sur mon visage, alors que je contemple le ciel nocturne, un tableau vivant ponctué d'étoiles qui mettent en valeur le paysage au-delà. Mongibello (1) a choisi ce jour pour se réveiller. Le volcan a éclaté, ses entrailles ont rugi, annonçant un show hypnotisant.

Comme un guerrier défiant le ciel, la lave s'est élancée, une cascade ardente qui a osé rivaliser avec les étoiles. Elle a créé une série d'explosions contrôlées, des battements réguliers qui ont rythmé la nuit. Des panaches de fumée se sont dressés, jetant une ombre sur la brillance de la lave, avant de saupoudrer Adrano de ses cendres, comme des confettis dans une parade nocturne. Maintenant, elle serpente tranquillement, dessinant des sillons lumineux, peignant la nuit d'un rouge intense.

L'idée de me glisser sous les draps me répugne. Je veux être témoin de ce spectacle, voir « A Muntagna » se déchaîner, le surnom tendre que nous, Siciliens, donnons à notre montagne. Ce nom traduit notre affection et notre vénération pour ce pic jeune et symbolique, qui se dresse comme le géant actif de l'Europe. Cette figure majestueuse est ancrée dans notre culture, dans notre âme.

Les échos lointains de la montagne résonnent encore, une mélodie ancienne jouée par la terre elle-même. Le sol a vibré, témoignage de la puissance indomptée de la nature. Le volcan va encore rugir avant de s'apaiser, laissant derrière lui l'aube et un calme nouveau.

En la regardant, le visage de ma fille apparaît devant mes yeux. Ses yeux paniqués qui criait au secours sans un son. J'ai bien compris qu'elle ne voulait pas que je m'en fasse pour elle. Depuis cette histoire de harcèlement, elle a besoin de sentir qu'on est connectés. Avant, nos discussions étaient limite des disputes, des piques lancées en flèches qui se plantaient dans mon cœur. Maintenant, c'est plus posé, plus doux, comme si elle avait appris à moduler sa colère.

Les jours défilent dans ma tête, un à un. Un peu moins que huit semaines, et je pourrai enfin la prendre dans mes bras, entendre son rire.

Je reste planté devant la fenêtre, à regarder la nuit se terminer avant de me laisser retomber sur le lit. La tête sur l'oreiller, je commence à me détendre. Elle doit sûrement être retournée au pays des rêves. Et moi, je m'endors sans m'en rendre compte, jusqu'à ce que le téléphone sonne à nouveau.

C'est encore ma fille.

Hey, coucou papa.

Ciao... Ça va ?

Ouais, mieux qu'hier soir maintenant que le soleil est revenu, ça fait du bien. Mais j'ai l'impression de te sortir du lit encore une fois.

Il est quelle heure ?

9h30.

Minchia ! La trattoria va ouvrir en retard.

Tu devais y être à quelle heure ?

9h00 pile.

T'inquiète, t'es le boss après tout...

L'envol de la triskèleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant