L'envol de la triskèle

Chapitre 73 : Exaspérée, mais résignée

PIPPO

SICILE, ADRANO

JUILLET

Déception. C'est le mot qui pèse sur mes épaules. Face aux devoirs familiaux qui sont les siens, que puis-je faire ? Lutter ? Pas réellement. Je choisis d'espérer qu'elle continue à venir travailler chez moi. Depuis mai, j'ai rangé mes atours de séducteur, endossant l'habit sobre d'employeur.

L'indécision de cette femme m'a fait douter. Je refuse de m'attacher et de me laisser submerger par des sentiments que je préfère garder enfouis.

Alors, j'attends. Renoncer n'est pas une option pour moi, même si c'est difficile à imaginer.

Tandis que les amis profitent de leurs cocktails, mes fils s'affairent, apportant les plats encore chauds aux clients. Ils allient professionnalisme et charme familial, ce qui fait de notre trattoria bien plus qu'un simple lieu de restauration. C'est un point de rencontre, un espace où les générations se croisent, où la cuisine est une affaire de famille, avec une touche d'originalité qui ravit les papilles de nos invités. Nous sommes un trio père et fils, mettant notre cœur dans chaque détail. Notre bar-trattoria est petit, mais il est tout pour nous, car nous y mettons toute notre âme, préférant la qualité à la quantité.

Quand le bar-trattoria se vide, nous servons les deux jeunes qui se régalent, leur offrant le repas en signe de notre hospitalité.

Mon téléphone sonne, c'est ma fille qui veut me parler. Une conversation que j'attends avec impatience.

Ce matin, j'ai pris un moment pour lui envoyer un message, lui souhaitant un joyeux anniversaire à travers des mots choisis avec soin. J'avais promis un appel en soirée pour le lui dire de vive voix, mais le temps m'a échappé.

Dans l'urgence de rester productif, je glisse mon oreillette Bluetooth, un outil indispensable pour jongler entre conversation et travail, pour ne pas perdre le fil de cette soirée tumultueuse.

─ Ciatuzzu, tu m'as grillé la politesse ! J'étais à deux doigts de te téléphoner, lui fais-je remarquer, ma voix se frayant un chemin à travers le tumulte du bar.

─ Papa, tu dois intervenir, maintenant, tranche-t-elle avec gravité.

Je fais glisser mon téléphone dans la poche de mon tablier, m'éloignant du comptoir pour inverser le panneau de la porte d'entrée sur « chiuso (fermé) », verrouillant le bar dans un calme retrouvé.

─ Papa, je t'en prie ! insiste-t-elle, sans me laisser en placer une. C'est mon anniversaire aujourd'hui.

─ Ne tente pas de le persuader, intervient une voix en arrière-plan, ferme et déterminée. Il sera de mon avis.

Mon esprit est noyé par le flux incessant de leurs voix qui se superposent. Des murmures indistincts aux exclamations passionnées, Giorgia et Sandrine s'affrontent dans une querelle familiale qui semble prête à exploser, les mots volants, étincelles de feu de camp. Perdant patience, je choisis de m'interposer, optant pour le français afin que Sandrine puisse intégralement suivre le débat.

─ Temps mort, ok, je coupe, essayant d'injecter un peu de tranquillité dans le chaos. Quel est précisément le hic aujourd'hui ?

─ Maman veut m'empêcher de passer la nuit chez Dario ! s'exclame Giorgia, montant en puissance sous l'effet de l'indignation.