Chapitre 17: Vouloir savoir

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GIUSI

SICILE, ADRANO

OCTOBRE

Cette journée au salon a été la traversée à la nage d'eaux troubles. Éprouvante sous tous ses aspects. J'ai enchaîné les prestations.

Les heures se sont écoulées, coupes, brushings, colorations. J'ai jonglé avec les demandes, passant d'une chevelure à boucler à des crinières à lisser et celle à rafraîchir d'une bonne coupe. Mon tablier était mon bouclier, protégeant mes vêtements des éclaboussures de teinture.

Le rythme était effréné, sans répit. Je n'ai pas eu le temps de lever les yeux, ni celui de respirer. Les clientes ont défilé, chacune avec son histoire à raconter, son humeur, sa coiffure à sculpter. J'ai souri, j'ai écouté, j'ai créé. Mes doigts ont volé, sûrs d'eux, suivant la partition de leur désir, pas toujours facile à accepter.

Et, puis enfin, le salon est revenu dans un semblant de calme. Les sèche-cheveux se sont tus, les miroirs ont cessé de refléter des visages en transformation. L'agitation frénétique a cédé la place à une atmosphère apaisée. J'ai posé mes ciseaux, j'ai relâché mes épaules tendues et j'ai respiré profondément. La bataille est finie, du moins pour le moment.

La journée touche à sa fin, mais pas mon énergie. Je me prépare mentalement pour le second pic d'activité : le combat à la maison. Entre le break de midi et le rush de l'après-midi, j'ai déjà préparé les bases du repas. Maintenant, il ne me reste plus qu'à allumer les feux, réchauffer les plats, à nourrir nos corps épuisés. Du moins ceux de mon fils et le mien. Quand Michele aura décidé de manger, s'il daigne manger du moins, ce qui est moins sûr, je le servirai aussi, en bonne petite épouse aussi obéissante qu'un soldat. Je le fais en silence, pas par esprit de soumission, mais pour avoir la paix, parce que je n'ai plus l'énergie pour lutter.

Il est dix-huit heures trente, et l'instant de décompresser n'a pas encore sonné. Le salon de coiffure vibre encore, comme un moteur qui refuse de s'éteindre.

Giuliano, mon fils, est là, concentré, les ciseaux dans une main, le peigne dans l'autre. Sa dernière coupe de cheveux de la journée. Chaque mèche est un défi, chaque boucle un combat. Il cisèle, il sculpte, il crée la tête de ses deux amis, ils sont plongés dans une discussion animée. Le dernier match de l'équipe nationale italienne de football est leur arène. Ils dissèquent, ils critiquent, ils s'enflamment.

L'entraîneur est leur cible favorite. Ses décisions, catastrophiques selon eux, ont mis l'Italie en danger. L'Euro est à portée de main, mais les choix de l'entraîneur ont sérieusement compromis les chances de qualification.

Leurs voix s'élèvent, s'entrechoquent. Et moi, je les écoute. Ma lassitude est là, accablante, mais leur enthousiasme est contagieux. Je souris, malgré tout.

Mon esprit, lui, a basculé en mode économie d'énergie. Il n'a plus la force de créer des récits, de tisser des sagas. Les histoires de mes clientes, leurs vies, leurs secrets, tout cela m'a épuisé. Mon réservoir de vitalité est presque vide.

Bientôt, je pourrai rentrer chez moi. En face. Encore quelques retouches ici, et je serai libre. Libre de me gorger de silence, de solitude, de repos.

En m'approchant de la caisse enregistreuse, une étrange vibration m'envahit. C'est comme si l'air lui-même retenait son souffle, attendant quelque chose d'extraordinaire. Une essence mystérieuse flotte à ma hauteur, palpable. Un parfum qui m'enveloppe, me saisit au cœur.

Mon sixième sens me pousse à lever les yeux.

Et, je le vois. Un homme. Assis sur le vieux canapé en velours, animé d'une aura captivante. Son regard, profond et brûlant... purement hypnotique est époustouflant. Je suis figée, immobile comme une statue, absorbée par cette découverte.

L'envol de la triskèleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant