Chapitre 29 : Enfin, bref

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PIPPO

SICILE, ADRANO

NOVEMBRE

La vieille cuisine de ma mère est un lieu où chaque centimètre carré est imprégné de l'âme de la Sicile. L'espace y est exigu, à peine suffisant pour une seule personne, mais oh combien étroit quand un second s'y glisse. Les murs, jaunis par le temps et la vapeur, sont les témoins d'une véritable anthologie vivante de nos repas de famille, un carnet de voyage culinaire qui raconte notre histoire.

Ma mère, le pilier de notre famille, s'active avec une énergie qui défie son âge. Elle incarne la matriarche par excellence, orchestrant le ballet entre les fourneaux et le plan de travail avec une maestria inégalée. Son œil de lynx me suit alors que je m'approche, s'assurant que je manipule le plat d'aubergines à la Parmigiana avec précaution dans le four.

Stai attento (fais attention), dit-elle d'un ton qui n'admet aucune réplique.

La pression que ma mère m'impose, pèse sur mes épaules. La marge d'erreur est nulle. Une seule goutte de sauce tomate renversée, et je serais la cible de ses remontrances. 

Depuis ce foutu jour au salon de coiffure, je suis un boxeur sonné, sans nouvelle de cette femme. Je parie que son mari lui a interdit de me rappeler pour cette histoire d'évier à réparer. Son image s'accroche à mes pensées chaque cazzo de jour, me rendant un peu plus taciturne. Je sais que je dois l'oublier, mais je n'y parviens pas. 

Concentré, je me penche vers le four, les mains sûres, conscient du danger que représente le plat qui, gorgée à l'extrême, menace de libérer son précieux contenu à tout instant.

Hmm, che profumo (quel odeur) ! s'exclame-t-elle, s'adoucissant à l'instant où le basilic et la sauce tomate délivre sa richesse aromatique qui envahit la pièce.

Je navigue avec prudence, essayant de ne pas perturber le flot continu de conseils et de commentaires de ma mère. Elle parle, parfois à moi, parfois pour elle-même, dans un monologue qui m'échappe souvent. Depuis mon arrivée, elle me bombarde de questions. Derrière cette façade d'autorité se cache l'amour maternel, complexe et puissant, qui anime chacune de ses paroles.

La patiente, cette vertu qu'elle a tant valorisée et inculquée durant mon enfance, semble s'être évaporée dans l'air, comme si elle n'avait jamais existé. Avec une insistance qui me prend de court, elle continue à me presser de questions, une salve après l'autre.

Dis-moi, tu as des nouvelles de ta fille ? interroge-t-elle. Tu es muet comme une tombe aujourd'hui. Qu'est-ce qui te tracasse ? Tu parais si... préoccupé.

Mamma (maman), n'exagère pas. Rassure-toi, tout va bien.

Son instinct maternel, ce sixième sens féminin, capte les remous de mon esprit agité. Avec une acuité qui ne laisse rien passer, elle détecte mon trouble.

Je me redresse, la main sur le thermostat, ajustant la chaleur du four pour calmer le feu de ses questions. Son regard, aiguisé et scrutateur, fait fondre mes dernières résistances.

Alors, Pippo ? presse-t-elle avec une douceur qui cache mal son impatience.

Si mamma, je lui dis, lâchant prise. Pardonne-moi, j'étais perdu dans mes pensées.

Elle ne lâchera pas, aussi déterminée qu'un chien de chasse à obtenir une réponse par son flair développé. Sa ténacité me perce et bat en brèche, alors, je recolle les fragments épars de mon esprit et lui fait front.

L'envol de la triskèleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant