Chapitre 64 : Son refus de me l'avouer

9 1 2
                                    

GIUSI

SICILE, ADRANO

MAI

Ma vie est un tourbillon infernal. Journées de travail qui s'enchaînent, obligations familiales qui me happent, et moi, au milieu de tout ça, épuisée. Aussi essorée qu'une vieille éponge sur le point de se désagréger.

Le miroir ne me renvoie plus qu'une ombre fatiguée. Mes traits sont creusés, mangés par la fatigue. Je ne ressemble plus à une femme. Je ne suis plus qu'une chose qui se meut. Ce n'est pas près de s'améliorer, surtout quand je pense à ce qui m'attend encore avant de commencer ma journée de travail.

Depuis que je suis chez elle, ma mère est insupportable. Elle s'acharne à me rendre la vie impossible. J'ai encore une heure devant moi. Si je me dépêche, j'aurai le temps de me changer avant de filer travailler chez Pippo, de me rendre présentable.

Lina a pris soin d'elle toute la journée d'hier. Je refuse de lui imposer de la prendre en charge aujourd'hui. La situation est intenable et malgré le gouffre dans lequel je me trouve, il me revient de prendre soin d'elle.

Le poêlon trône sur la flamme, son contenu frémissant. Le lait, réchauffant à feu doux, exhale une odeur quotidienne qui me rappelle mon enfance.

Les doigts de ma mère battent la mesure sur la table avec impatience. Chaque battement ajoute une note discordante à mon stress déjà à son comble.

C'est sa façon silencieuse de me dire qu'elle va bientôt perdre patience. Je la connais trop bien.

J'ai l'estomac dans les talons, c'est pour quand ? s'emporte-t-elle, à la fois exigeante et affamée.

Mamma respire ! Les morceaux de pain vont tremper dans ton lait et tu pourras manger.

Ça fait déjà dix minutes. Dépêche-toi, dai !

Une minute, c'est prêt !

Je retiens ma réplique acerbe. Riposter ne ferait qu'envenimer les choses, et elle deviendrait encore plus insupportable. Quand elle me lance une ultime remarque, je verse le lait dans le bol, mes doigts frôlant la brûlure. J'insère une larme de café que je mêle au lait.

Pas trop de café, sinon c'est trop fort.

Elle ne m'a pas lancé un merci, pas même du bout des lèvres. Comme si veiller sur elle était gravé dans mon rôle, sans droit à la plainte, et que je devais arborer un sourire éclatant en prime.

Ma mère, cette semaine est une énigme. D'une humeur de chien, elle aboie ses exigences avec vindicte, sans avertissement. Elle se plaint d'un mal de ventre qui est un champ de bataille, gronde, se tord, avec une digestion laborieuse. À chaque fois que ma sœur ou moi faisons un geste, nous déclenchons une tempête, sa colère éclate, son agacement fuse.

C'est quoi ce pain ? On dirait des pavés ! Mes pauvres dents bataillent pour mâcher, et pour ce qui est de la digestion, autant oublier. Vous êtes déréglées ou quoi, ta sœur et toi ? Vous faites tout à l'envers ces jours-ci.

On est peut-être juste à bout de souffle, Mamma.

À bout ? Tu parles d'une vie... La mienne, c'était comme si j'étais au front tous les jours, une vraie peine. Pas une minute à moi, du matin au soir. J'étais là, pour mes trois enfants, ton père, la maison, et même mes parents, sans jamais broncher.

L'envol de la triskèleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant