Chapitre 33 : Une âme en deux corps

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GIULIANO

SICILE, ACI CASTELLO

NOVEMBRE

Je frappe à la porte avec force, puis je franchis le seuil avec une aisance naturelle, sans attendre le feu vert.

Yo, Edoardo, sono io (c'est moi) !

Déjà plongé dans le tourbillon de ses préparatifs, Edoardo est entouré d'une armada de bouteilles triées sur le volet, de citrons découpés avec précision, de menthe fraîche qui explose de saveur et d'un shaker argenté qui attend son heure de gloire, prête à entrer en action. Le craquement rassurant des glaçons qu'il jette dedans, retentissent contre les parois. Le cliquetis des bouteilles qu'il manipule, ajoute une bande-son vivante à la scène.

En t-shirt, ces tatouages se révèlent, évoquant des fresques urbaines sur son corps en mouvement. La lumière joue dessus, mettant en exergue la texture de sa peau hâlée qui contraste avec l'encre sombre et fait ressortir les contours de chaque dessin. Nous avons tous les deux commencé à marquer notre peau à dix-huit ans, signe de notre fraternité. Edoardo s'est fait tatouer une croix provocante sur le dos, un doigt d'honneur à l'autorité paternelle, une provocation calculée contre son père.

Ils sont les antipodes l'un de l'autre, même physiquement. Edoardo a hérité des traits raffinés de sa mère, un visage qui captive et fait tourner les têtes des filles sans même qu'il s'essaye à les draguer. Chaque tatouage qu'il porte est un cri de révolte, une déclaration de son esprit rebelle. Quant aux miens, ils sont dispersés sur tout mon corps, fresque vivante racontant mon trip perso sur ma peau. L'encre, une fois que ça te chope, c'est plus qu'une addiction, c'est une quête sans fin. C'est notre langage artistique, notre façon de raconter sans mots. Je vibre pour cette forme d'art autant que lui.

Ça fait un bail, amico mio, balance-t-il avec un sourire qui file la pêche alors que nous nous saluons avec un jeu de main.

Bien trop longtemps. Tout roule ?

Ouais, je garde le rythme, marmonne-t-il distraitement.

Il est occupé à écraser les feuilles de menthe, le sucre de canne et les citrons verts qu'il a découpés. Le mince crépitement des herbes écrasées mélange ses notes vives avec le zeste acidulé du citron, emplissant l'air de frais. La playlist en arrière-plan finit de donner una figata (un truc cool) à l'ambiance.

Une soirée relax à glander à la maison, ça te parle aussi, non ?

Ben, mes soirées jouent sur un autre décor. Moins top que ce qui nous entoure ici, je lui précise.

Je ne parle pas juste de la déco. Je cause de toute la vibration du bungalow stylé où on se la coule douce, et de la petite piscine qui miroite à travers la baie vitrée. Même à l'intérieur, nous sommes enveloppés par ce parfum fort de jasmin venant du jardin qui est un coup direct à nos sens. Il s'infiltre partout, apportant une touche de nature au milieu de notre début de soirée.

Et, plus serrés que les tiennes aussi, si tu vois le délire. La routine du mec sans le sous, avec un budget qui crie famine.

Laisse-moi deviner, tu es resté perché parce que ton compte en banque te fait la tronche ? lance-t-il avec un rictus comique.

Avec mon pote, nous sommes sans filtres. Pas de cinéma, juste une amitié en béton. Lui et moi, sommes issus de deux planètes différentes. Il sait que depuis que ma mère travaille seule, les fins de mois difficiles sont notre galère. Dans notre maison, c'est plutôt les bruits de la rue et les klaxons des voitures qui résonnent.

L'envol de la triskèleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant