PIPPO
SICILE, ADRANO
MARS
À la place, je ne peux lui servir qu'un moment vide, digérer ses paroles et en sentir le poids. Je n'ai pas de paroles toutes faites, prêtes à sécher ses larmes, pas de ton dégoulinant de clichés pour la rassurer, juste un silence chargé et le bruit de fond de la vie quotidienne à l'autre bout du fil.
─ Tu crois que je pourrais venir chez toi, maintenant ? me supplie-t-elle d'un filet de voix ténu.
─ Si je le pouvais, je te sortirais de là, maintenant, rien ne me comblerait plus de t'avoir ici, mais tiens le coup. Tu seras hors de portée de leur venin. Il ne reste que quatre petits mois avant la fin de l'année scolaire.
Ma décision de la pousser à tenir bon est aussi tortueuse pour moi que sa résolution de rester là-bas est éprouvante pour elle. Je suis tiraillé entre mon désir de la protéger et la conscience de son avenir qui est en jeu. Trouver un juste milieu s'avère un exercice d'équilibriste, une corde raide sur laquelle je me tiens.
─ Je ne sais pas si je peux encore tenir, admet-elle, fragile. J'ai résisté jusqu'ici, mais là, je suis au bord du gouffre.
─ Tu vas trouver une force insoupçonnée en toi, plus forte que le reste, je rétorque, avec plus de conviction que je n'en ressens. Tu dois continuer, sinon, ils auront gagné.
En l'entendant dire qu'elle est au bout du rouleau, mon poing se serre, mes ongles creusant ma paume dans un réflexe pour dompter l'orage en moi.
Le reste m'importe peu. L'essentiel est de bannir la terreur qui la ronge. Pour ne pas alourdir son fardeau, je bride mon envie de tout fracasser. C'est une gageure, surtout quand elle déverse son cœur.
─ Que dirais-tu d'un Skype ? Histoire de se voir tous les deux, je propose, tentant d'injecter une note légère.
Et aussi parce que l'éclat de son visage sur l'écran apaiserait le tumulte qui gronde en moi.
─ Ce serait bien, mais... je n'y arriverai pas, répond-elle, traînant un murmure qui porte en lui une tristesse palpable.
─ Qu'est-ce qui te retient ? Dis-moi tout.
─ J'ai honte. Honte que tu me voies ainsi, avec le reflet horrible de mes cheveux coupés qui se reflèterait dans tes yeux...
En plein milieu de ses sanglots, la voix de ma fille flanche. Elle s'accroche à une honte qu'elle ne mérite pas, victime d'un sort qui n'a rien de juste. Écouter ses reniflements me tord les tripes.
─ Je ne vais pas te forcer. Cheveux ou pas, tu resteras toujours mon rayon de soleil, c'est tout.
─ Je ne suis plus ton soleil, seulement la face sombre de la lune.
─ Soleil ou lune, chaque astre brille. Les deux ont leur force.
─ Tu ne captes pas papa. Si tu veux tout savoir, je ne me suis jamais sentie forte. Je ne bougeais pas face à leurs attaques, je ne disais rien, j'avais bien trop peur. C'est plus facile de la fermer que de se battre, crache-t-elle entre ses pleurs, me donnant un aperçu brut de sa lutte intérieur.
─ Tu as tort. Il n'y a rien de lâche dans ce que tu me racontes. Le silence, c'est aussi une forme de combat. On répond les imbéciles par le silence, c'est une forme de mépris qu'on leur voue. Ça, c'est du Bastiani tout craché.
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L'envol de la triskèle
Mystère / ThrillerJe rêve de m'envoler, de devenir aussi légère qu'une petite aigrette duveteuse de pissenlit... Mais, dans la réalité, je ne vis que dans le trou noir de mon existence..." C'est le cri silencieux que lance Giorgia, une jeune fille écrasée par l'intim...