Chapitre 22 : Partez, maintenant

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PIPPO

SICILE, ADRANO

OCTOBRE

Le moment où nos regards se percutent est un choc frontal qui me secoue jusqu'aux os.

Mon cœur démarre au quart de tour, comme un moteur suralimenté. Ce fragment de temps est gravé en moi, tenace et sauvage, tatouage fait à l'encre de survie. Je brûle d'envie de rester attaché à ce sursaut électrique que je décèle dans son regard, cette flamme, le chaos qu'elle essaye d'enfouir.

Cette rencontre est une révélation, une collision cosmique.

Plus je l'observe, plus je suis captivé par le spectacle vivant de son visage, un kaléidoscope d'ombres et de lumières. Je me laisse engloutir, plonger dans le récit à ciel ouvert qu'elle offre sans bouclier. Elle ne peut pas dissimuler la braise qui brûle en elle. Elle fuit mon regard, puis le cherche encore, comme si elle était prise dans un dilemme. Ses traits, d'une beauté sculpturale, diffusent une énergie brute. Tout en elle n'est qu'intensité et désir indompté. Ce qui me captive le plus, c'est la couleur de ses yeux, un mélange hypnotique de cognac et d'or. Lorsqu'ils étincellent, c'est un raz de marée qui me renverse.

Elle disparaît dans l'arrière-salle, fuyant mon regard. Je comprends le signal, elle s'en va pour m'échapper et me laisser en plan. Un vide s'installe, grandissant à chaque pas qu'elle fait pour s'éloigner. Cloué sur ce canapé, je reste interdit, sonné par ce qui vient de se passer.

Je dois me ressaisir. Cette femme, c'est évident, ne sera jamais mienne. Je me redresse, poussé par une pulsion soudaine, et je m'arrache pour aller griller une clope, histoire de décanter. En écartant les lamelles de la persienne de la porte du salon, je me fige sur le pas de la porte.

Le vide me frappe : la nonna a déserté, lassée par le flot de visages, fatiguée de ce show fuyant quotidien sans doute. Sa chaise, témoin muet, trône sur une cour déserte.

Je coince la cigarette entre mes lèvres, l'allume avec mon zippo, seule relique de mon père. Il me l'a laissé en mourant.

Ironie cruelle, lui, vaincu par le cancer du poumon.

Il est resté accro à la nicotine jusqu'à son dernier râle. Moi, son portrait craché, je suis scotché à ce même vice, flirtant avec l'ombre de ma propre chute. Indifférent, je m'en tape et je me laisse aller au plaisir coupable de la fumée, inspirant à fond, emplissant mes poumons d'une brume toxique.

Cette évasion est presque aussi jouissive que de regarder cette femme à l'intérieur.

Elle me ferait frémir sous la ceinture, rien qu'en l'observant. Sa présence, électrisante, éveille en moi un désir primal, amplifié par le timbre de sa voix, appel vibrant qui traverse les murs alors qu'elle appelle son fils. Son tempérament fougueux, palpable même à distance, attise ma fascination. J'aime qu'on me résiste, ça m'excite tellement bien que l'ironie s'invite dans l'équation de ma défaite puisqu'elle est inaccessible.

Je suis si obnubilé par elle que je ne remarque pas tout de suite mon téléphone qui vibre. Quand je le sors de ma poche, c'est déjà trop tard.

Tiens, c'est ma fille qui m'appelle sur Messenger. Ça alors, ce n'est pas courant. Nous sommes souvent en décalage, elle et moi.

Les enfants, quand ça grandit, ça te tient tête, ça fait tout l'inverse de ce que tu dis. Ils te prennent pour un vieux con. La preuve, il y a un instant avec un de mes fils.

C'était pour s'amuser, j'entends bien. Contrairement à ma fille, avec qui s'est souvent tendu. On finit toujours en prise de bec. Elle a un sacré caractère, tout craché, le mien. Elle n'y va pas par quatre chemins, malgré ses dix-sept ans.

L'envol de la triskèleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant