Chapitre 16 : Je vais morfler

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GIORGIA

BELGIQUE, NAMUR

OCTOBRE

Si ce signal d'alarme ne lui transmet pas que son territoire de chasse est désespérément vide, alors mes options sont épuisées.

Le contact de sa main, humide et légèrement tiède, sur la mienne déclenche une réaction viscérale. C'est de l'acide sur mon dégoût. Je me décale subtilement vers la droite, créant une barrière psychologique aussi impénétrable qu'une muraille entre nous.

Celle frontière virtuelle me semble pourtant en papier mâché face à lui.

C'est un vrai plus de vous avoir ta mère et toi dans nos vies. Votre présence apporte une lumière, un dynamisme qui manquait ici. Vous êtes, pour ainsi dire, les rayons de soleil de notre foyer, proclame-t-il, sa tirade tellement surfaite qu'il gagnerait la palme d'or.

Même Théo, qui d'habitude se contente d'observer le show depuis les coulisses, ne peut contenir un ricanement sarcastique devant cette avalanche de louanges vident de sens. Ces paroles, gorgées d'une fausseté qui donne la nausée, me pousse au bord de l'éruption. Nous ne sommes pas des muses, juste des poupées Barbie coincées dans un scénario foireux, sur l'échiquier de leurs désirs inavoués. S'ils pouvaient, tous les trois, pousser un peu plus loin dans le côté obscur, il ne s'en priverait pas.

Je poursuis ma tâche, m'acharnant sur la vaisselle avec plus d'énergie que nécessaire, mes doigts se crispant sur le torchon contre l'oppression latente, étranglant le peu de sérénité qu'il me reste. Mon esprit est tumultueux, à tel point que je lance les ustensiles dans le placard sans délicatesse.

L'instant où sa paume frôle encore la mienne, je bondis en arrière, réagissant comme si j'avais accidentellement touché une plaque brûlante. La louche, jusqu'alors fermement tenue en main, s'échappe de ma prise pour rencontrer le sol avec un fracas métallique. Mon visage doit crier « alerte rouge » parce que François me dévisage, les yeux écarquillés, oscillant entre la surprise et une curiosité mâtinée d'un truc plus étrangement louche.

Ça va ? demande-t-il avec un sourire ourlant ses lèvres, de celui qu'on pourrait qualifier de sournois plus que charmant.

Oui, oui, super, je débite, un poil trop vite pour sonner vrai.

Mon attention se détourne alors vers la table que Théo prétend avoir dressée.

« Dressé », dans l'univers de Théo, semble être un terme extrêmement flexible. L'emploi de ce mot pour décrire le spectacle devant moi relève de la pure générosité. Les assiettes et les couverts sont dispersés avec une négligence qui frise le génie créatif, tandis que les serviettes, elles, ont été oubliées, je ne sais pas où. Quant aux verres, inexistant aussi. On devra se passer la bouteille d'eau de mains en mains en poussant des hurlements joyeux de pirates. À ce stade, c'est plus que plausible.

Sur la banquette, seigneur affalé sur son trône délabré, Théo dévore des tranches de salami avec l'élégance d'un troll, les sons de sa mastication éclatant dans la pièce avec une absence totale de classe qui me donne des envies de meurtre.

Cette cacophonie me rend dingue. L'incivilité sonore de sa dégustation, bruit sourd de nourriture malmenée entre ses dents, me fait grincer des dents. J'ai une aversion profonde pour les personnes qui mangent bruyamment.

François, totalement aveugle à mon tourment intérieur, me tend une casserole qui suinte encore de mousse du liquide vaisselle. Ce constat ne fait qu'attiser les flammes de mon irritation. Je la choppe avec une délicatesse forcée, la fixant comme s'il s'agissait d'un artefact extraterrestre, entièrement déplacé dans l'univers devenu surréaliste de cette cuisine.

L'envol de la triskèleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant