Chapitre 14 : Cette femme intrigante

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PIPPO

SICILE, ADRANO

OCTOBRE

Loris s'explique, déroulant une explication qui, pour lui, semble aller de soi, comme si j'étais censé connaître une règle non écrite.

Bah, tu sais, les cousines, les sœurs...

Quoi, les cousines et les sœurs ?

Papa ! Il s'agit d'une règle d'or entre nous. On ne touche pas aux cousines et encore moins aux sœurs. C'est une sorte de code d'honneur entre potes. Une logique imparable.

Il est mal à l'aise en déballant ces infos. Il plonge ensuite son regard dans le mien, recherchant mon aval ou un signe pour calmer ses doutes. Je prends un moment pour peser mes mots, me demandant s'il ne doit pas simplement suivre son instinct plutôt que de s'accrocher à ce deal puéril.

Et, en plus, c'est la fille de Carmelo, tu vois ? L'oncle de Giuliano. Ils vivent juste en face de ce salon de coiffure, précise Loris.

Mes fils travaillent avec moi dans mon bar-trattoria (1). Nous avons roulé notre bosse jusqu'en Italie, prenant le traghetto (2) à Messine pour apprendre les ficelles du métier quelques semaines avant de revenir en Sicile. Nous avons mis la main à la pâte, pour que ce projet devienne réalité.

Chaque jour, sauf le lundi, nous nous activons derrière le comptoir et les fourneaux. Nous proposons trois plats signature, qui ont le goût de la nouveauté et de notre savoir-faire. Nous jonglons avec les saveurs, faisant danser les casseroles, régalant les clients enthousiastes. Nous proposons aussi des pâtisseries, mes fils ayant déjà travaillé dans un bar-pâtisserie auparavant. Occasionnellement, Carmelo vient prendre son espresso. Le père de la jeune fille, apparemment.

Je l'ignorais, je réponds. Mais, si c'est sa fille, alors, ok, il faut finement jouer. Si tu as des intentions sérieuses, alors pourquoi pas ? Rien n'est hors de portée.

Je n'ai pas dit que j'étais à fond sur elle. C'est seulement une possibilité, rien de sûr, se défend-il.

Ah, bien évidemment, dis-je, feignant d'acquiescer à sa tentative de noyer le poisson. Alors, oublie l'idée, ce ne serait pas cool.

Son signe de tête frustré trahit bien ce qu'il essaie de camoufler. Il joue la carte de la prudence, surtout parce qu'il flippe de se prendre un râteau, d'être repoussé par elle. En réalité, il n'est pas si détaché qu'il le laisse croire, loin de là.

Le rire de dérision qu'il arbore face à mon conseil de ne pas insister s'il n'est motivé que par le sexe est un déni en soit. Pour couper court, il me questionne à mon tour.

Et, toi, papa ?

Quoi, moi ? je m'étonne, déconcerté et ne voyant pas où il veut en venir.

Qu'en est-il de cette femme que tu n'arrêtes pas de zieuter depuis tout à l'heure ?

Il me détaille avec une lueur qui en dit long.

Le petit futé, le rusé, petit enfoiré.

Il manœuvre habillement et remanie la conversation à son avantage. Je dois reconnaître que cette tactique est brillamment exécutée. C'est un coup de poker de maître. Il a hérité de mon ingéniosité, de mon stratège. Cette perspicacité, elle coule dans nos veines. Le proverbe ne ment pas : tel père, tel fils. Son sarcasme me rappelle celui de quelqu'un d'autre, un homme que j'ai vu ce matin dans le miroir.

L'envol de la triskèleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant