Chapitre 15 : Garde tes distances mon vieux

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GIORGIA 

BELGIQUE, NAMUR

OCTOBRE

Alors que je franchis la porte de la cuisine, une surprise de taille m'attend. Chaque recoin brille d'une propreté éclatante, un exploit rarement atteint dans l'espace habituellement marqué par le désordre. Je suis bluffé, c'est une première. Tout est nickel, une propreté irréprochable qui claque, exactement de la manière dont je l'ai orchestré ce matin.

Franchement, c'est du jamais vu.

D'habitude l'ordre dure quoi... deux minutes ? Elle se dissipe plus vite qu'un snap (1), surtout quand Théo rôde dans les parages. Le mec est la définition vivante de l'anarchie. Il a ce don, presque magique, de transformer un espace en zone sinistrée en un claquement de doigts. Son talent pour le désordre défie les lois de la physique.

Je m'immobilise sur le seuil. Cette paix est précieuse et elle sera bientôt brisée par l'effervescence du show du dîner. Je me calfeutre mentalement avant ce qui va suivre. La scène qui va se jouer ressemble davantage à un spectacle de rock qu'à un repas familial. Ils vont s'abattre sur la nourriture avec l'ardeur de lions affamés, transformant la table en un véritable champ de ruines.

Par miracle, si leur humeur est clémente, ils consentiront à empiler leurs assiettes dans l'évier, un geste civilisé aussi rare qu'apprécié.

Leur foutu manque de respect commence sérieusement à me gonfler.

Pour couronner le tout, c'est bibi qui va encore jouer les boniches pendant que ma mère est en mode Warrior au boulot. J'attends avec impatience que cette routine de dingue prenne fin. Dans quatre jours, elle achèvera ses tours de garde nocturnes. Je pourrais alors plonger dans un sommeil sans interruption, et taper une nuit complète, libérée des griffes de cette demeure aux secrets trop lourds.

Les nuits où maman bosse, mon sommeil est aussi fichu que le sien.

La raison ?

L'angoisse et le silence de ces veillées me consument, aggravant mon isolement et le sentiment d'être piégée. Une intuition lancinante, une présence, ou plutôt une absence, me hante, me susurrant que sous le masque de la normalité se cachent des vérités que je préférerais ignorer. Cette voix insidieuse, tantôt fuyante, tantôt spectral, s'infiltre dans mes nuits, parfois même en plein jour, me laissant entrevoir un monde où la frontière entre le réel et l'inimaginable devient flou. Elle joue avec moi, me lâche un peu, et d'autres fois, s'acharne. Elle joue à cache-cache, un jeu macabre, un monologue dont le dessein m'échappe complètement et me terrifie.

Franchement, c'est quoi ce délire qui règne ? Est-ce juste ma tête qui part en vrille, ou quoi ? La flippe monte en flèche. Les fondations de ma raison s'effritent sous l'assaut de ces ombres invisibles. On dirait une nuée de parasites microscopiques qui me bouffent de l'intérieur.

L'heure du dîner se profile, et avec elle, mon anxiété atteint des sommets inexplorés. Je n'aspire qu'à une chose : fuit ce calvaire pour me réfugier dans la quiétude de ma chambre, loin de l'ambiance pourrie qui règne en bas.

Les minutes s'étirent, lentes et douloureuses, et ma mère se prépare à décoller pour le travail.

Vortex d'obligations du taf oblige.

Elle s'enfile un truc vite fait qui ne mérite pas le nom de repas. Je contemple le plat vide, dégoutée. Le plat que j'avais mitonné a été inhalé sans la moindre marque de reconnaissance. Maman a picoré un peu dedans, et François s'est chargé de faire disparaître le reste, sans un merci, sans un regard. Pour le dîner, des barquettes de lasagnes trônent sur la table, tout droit sorties de l'usine, le nouveau sommet de notre régime alimentaire. La junk food (2) dans toute sa splendeur.

L'envol de la triskèleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant