Chapitre 43 : Qui hurle danger

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GIORGIA

BELGIQUE, NAMUR

MARS

Dire que ma vie est un conte de fée serait un euphémisme. Je ne déconne qu'à demi-mot. En moi demeure une peur ancestrale, celle de la petite fille terrifiée à l'idée de rencontrer le Grand Méchant Loup au détour d'un chemin forestier. Cette crainte est aussi vive que le souffle d'un vent d'hiver qui vous glace jusqu'aux os. Je sais aussi que, à l'inverse de Cendrillon, les portes du bal me resteront éternellement fermées.

Je suis promise à une solitude qui s'apparente à une peine d'emprisonnement. Ma geôle n'est autre qu'une tour d'isolement, une version contemporaine de celle de Raiponce. Toutefois, ici, ce ne sont pas les sortilèges d'une sorcière malveillante qui me retiennent captive, mais plutôt les machinations perfides d'une bande de dégénérés qui se repaissent de ma détresse et se gargarisent de leurs rires moqueurs.

L'ombre menaçante des frères Grimm plane toujours sur moi, aussi réelle que la main qui s'empare de mes cheveux. Pas l'ombre d'un prince charmant à l'horizon, seulement des chimères et des illusions.

Les perdants règnent en maîtres, libres de leurs mouvements.

Le mercredi, pour certains, est synonyme de liberté, une demi-journée de répit pour ceux qui échappent aux heures de colle.

Hélas, je ne figure pas parmi ces privilégiés.

Je me précipite vers la salle d'étude, ce sanctuaire académique où règne un silence presque sacré ; seulement troublé par le cliquetis méthodique de l'ordinateur de l'éducatrice et le doux froissement des pages qui se tournent. Curieusement, j'y trouve un semblant de paix.

Je m'avance résolument vers mon havre de prédilection, un coin baigné de lumière près de la fenêtre, où les fins rideaux diaphanes tamisent les rayons du soleil, créant des motifs dansants sur sol. De là, je peux observer, à travers le voile léger, le défilé incessant des voitures. Une distraction bienvenue bien que monotone. C'est loin d'être exaltant. Mais, c'est mieux que rien.

L'attrait devient cool et se transforme en spot branché avec ces sessions de colle intensive. Un pur style.

Liberté, c'est le mot qui résonne dans ma tête. Ce cadeau précieux m'est offert sur un plateau d'argent. Au fil des retenues, j'ai su me tailler une place de choix dans ce microcosme, passant de novice à experte, imposant mon propre rythme. À tel point que Mme Leroy, l'œil aiguisé, a su capter le changement. Elle me laisse carte blanche, et j'utilise ce temps accordé pour travailler avec acharnement, sans jamais sombrer sous le poids de la paresse. Je progresse, atteignant un niveau de concentration que je n'aurais jamais cru possible.

Dans un recoin discret de la salle, il y a une nana. Elle se livre à une manucure clandestine, traitant chaque ongle comme un précieux trésor. Elle les sculpte et ils scintillent sous le feu des néons alors qu'elle les admire avec une fascination quasi religieuse. Elle croit qu'elle détient entre ses doigts la huitième merveille du monde, un secret caché aux yeux de tous.

À l'opposé, un mec paraît flotter dans son monde, déconnecté dans un ailleurs. Son look détaché, limite crado, lui confère une aura d'apesanteur. L'odeur herbacée et âcre qui s'échappe de sa personne trahit ses récentes escapades au pays de la beuh.

Courage, l'ami. La liberté n'est plus qu'à deux encablures. Moi aussi, je touche presque au but, à deux doigts de cet horizon tant convoité.

Lorsque Mme Leroy, avec un lourd soupir qui raconte des journées trop longues, annonce le clap de fin de session de ma retenue, un sourire espiègle se dessine sur mes lèvres. Je rassemble mes affaires dans un chaos organisé, et mes Airpods trouvent leur chemin vers mes oreilles avec une précipitation qui trahit mon impatience de m'en aller.

L'envol de la triskèleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant