Chapitre 36 : Ce que j'ai vu et entendu

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PIPPO

SICILE, ADRANO

DECEMBRE

Frappant à la porte et mon « permesso » lancé à l'entrée, je la trouve occupée à faire la vaisselle. Avec un sourire qui fend l'ordinaire, elle m'accueille, s'essuyant les mains sur un torchon et m'invitant à entrer.

Son foyer est aussi vieux que son salon de coiffure, un intérieur embaumé de simplicité, mais où la propreté est reine, rendant ce petit endroit plus chaleureux qu'il n'y paraît.

Elle est une parfaite maîtresse de maison, gardant le tout impeccablement rangé. C'est avec une curiosité piquée que j'accepte son espresso, noir et crémeux. La voir si naturelle, si vraie, éveille en moi une sympathie sincère. Même dans une cabane au sol battue, sa dignité dans l'adversité serait tout aussi éclatante. Son courage force le respect.

Elle me parle à voix basse, ses mots dansants entre ce qui nous occupe avec une facilité déroutante, jusqu'à ce que l'arrivée de son mari coupe court à notre échange. Elle se retire alors dans son cocon, son enthousiasme s'évaporant, laissant place à une prudence inquiète.

En servant le café à son mari, je saisis immédiatement qu'elle est terrorisée. Il oscille dans la tasse qu'elle tient de sa main tremblante, ses mouvements révélant sa peur. L'odeur du café fort se heurte à l'air chargé de tension.

Qu'est-ce qui la terrifie à ce point, alors que nous sommes juste là à discuter paiements autour d'un espresso ? Les questions fusent dans mon esprit, pensées terrifiantes pour sa sécurité.

Ce type, avec son air de défaite, pense quoi ? Que je suis là pour draguer sa femme ? Son look négligé ajoute une couche au malaise. On croirait qu'il n'a pas croisé une douche depuis une éternité. Il porte le fardeau des années plus lourdement qu'elle, avec des traits fatigués marqués par l'alcool, creusant des sillons profonds et formant de lourdes poches sous des yeux qui ne dorment plus. Son bras pend, inerte, alors qu'il me dévisage avec une fureur qui crache le feu.

Il me balance des accusations, me prenant pour le pire des salauds, juste là pour lui voler sa femme. Bien sûr, elle n'est pas sans charme, mais franchir la ligne ? Jamais.

Quand il me lance ses questions indécentes, je garde mon calme et je lui renvoie un regard glacé qui signifie bien que je peux jouer dans la même cour.

Dans cette atmosphère lourde, le parfum du café se mélange avec celui de la crispation, créant une ambiance quasi suffocante.

Lorsque je l'aperçois, fouillant frénétiquement le tiroir à la recherche de l'argent, l'effroi éclaire son visage qui se décompose en comprenant : il a osé prendre ce pour quoi elle a trimé dur, sans une once de remords. La rage m'enflamme. Ce n'est pas seulement parce que je peux dire adieu à mon dû après m'être échiné des heures, mais aussi parce que je suis consterné par cette manière de traiter une femme avec si peu de respect. Une femme qui se démène pour joindre les deux bouts, tandis qu'il reste sur son fauteuil.

Il se drape dans une fierté mal placée, exhibant la liasse d'argent et lance avec mépris 50 euros dans ma direction, comme si j'étais un mendiant en fin de compte, alors que la réalité est inversée et que c'est lui qui se retrouve sur la touche.

Tenez, cela vous permettra de célébrer Noël dignement et d'avoir de quoi garnir votre table.

Je lui ris au nez, sans me gêner, pour qu'il redescende de son trône.

Gardez votre argent et offrez-vous plutôt de quoi boire. À mon sens, de nous deux, c'est vous qui pourrez fêter Noël avec du vin en abondance.

L'envol de la triskèleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant