Chapitre 31: Toutes les nuits et jours que Dieu fait

17 2 4
                                    

GIULIANO

SICILE, ADRANO

NOVEMBRE

Se retrouver en famille, c'est censé être le remède miracle après une journée de travail. Autour de la table, l'odeur des pâtes de ma mère devrait être notre cloche de son, nous signalant que c'est l'heure de décompresser. Le fumet du bouillon vient caresser mes narines, annonçant un repas où je vais me régaler.

Théoriquement, ça devrait être un moment fort en famille. En réalité, c'est plus froid qu'un repas sur la banquise. Chaque fois qu'on se pose à cette table, c'est comme s'installer dans une tranchée en plein hiver. Quand mon père daigne nous rejoindre pour manger et s'incruste, l'ambiance devient glaciale, les mots sont des couteaux lancés en plein silence, et on se regarde en chiens de faïence.

Ma mère est une guerrière de la cuisine, qui transforme un budget de misère en un banquet digne d'un roi. Elle fait des miracles avec trois fois rien, et on se demande comment elle fait pour que ça ait autant de gueule.

Ce n'est pas de la poésie, c'est du concret, et c'est ça qui est bon. 

Dès que ma mère sert mon père, dont le visage semble toucher le sol de dépit, et qu'il ne trouve même pas la force de murmurer un merci, plongeant sa cuillère dans les pâtes avec une indifférence glaciale, je sais que c'est mon tour. Je tends mon assiette avec une hâte gourmande, trahissant mon impatience. Elle plonge la louche dans la casserole, d'où s'échappe un fumet prometteur, prélude à un festin simple, mais réconfortant.

Tu as faim, hein ? constate-t-elle avec un sourire qui réchauffe le cœur.

Elle me connaît par cœur.

Je crève la dalle, je lui avoue avec un enthousiasme non dissimulé.

Ce soir, j'ai fait dans la simplicité, me prévient-elle, presque en s'excusant.

Simple ou pas, c'est toujours bon quand c'est toi qui cuisines, je lui réponds avec sincérité.

Tu apprécies les choses simples, comme ton père, dit-elle en se tournant vers lui avec un petit sourire.

Il ne réagit pas, absorbé dans son monde, nous laissant en marge de son univers intérieur.

C'est vrai, je partage certains de ses traits, mais pas sur tous les fronts. Moi, je ne me permettrais jamais de manquer de respect à ma mère, contrairement à lui. Nos regards se croisent avec ma mère, et un sourire complice illumine nos visages, un instant volé à l'indifférence paternelle.

Alors, qu'as-tu décidé ? interroge ma mère, une lueur d'intérêt dans les yeux. Les préparatifs des fêtes de fin d'années arrivent. Tu pars avec Edoardo à Rome ?

Je suis encore dans le flou, je murmure. Il faut qu'on en discute avec Edo.

Tu mérites un break, insiste-t-elle, finalement, avec tout le travail au salon.

Des vacances ? Tu penses que nos finances nous le permettent ?

La louche marque une pause au-dessus de la casserole, chargée d'expectatives et de pâtes fumantes, alors que nos regards se posent sur mon père, auteur de cette saignée verbale.
Elle laisse ensuite retomber les pâtes dans mon assiette. Je sens la désorientation de ma mère face à cette remarque déplacée, aussi inattendue qu'un cheveu dans la soupe. Stoïque, j'attends qu'elle finisse de me servir, pendant que nous encaissons le coup.
Sa réaction est un amalgame d'émotions, balançant entre colère, amour maternel, et une touche d'injustice.

L'envol de la triskèleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant