J'avais la vie devant moi

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Je me nomme Annabelle Maury. Il y a cinq ans, j'ai vécu l'horreur, l'infamie...

J'avais dix-sept ans, j'étais épanouie, j'étais jolie, j'avais des amis, j'étais douée dans mes études, je rêvais d'un avenir radieux dans le domaine scientifique.

J'avais une famille unie, des parents aimants, deux sœurs et un frère dont j'étais très proche. Nous vivions dans un mas provençal que mon père avait retapé de ses mains. Nous avions un chien et deux chats. Nous étions heureux.

Cinq ans plus tard, j'ai quasiment tout perdu.

Le malheur, quand il vous frappe, fait de nombreux dommages collatéraux. Il brise, réduit en miettes chaque parcelle lumineuse de votre vie. Ma famille et moi-même n'avons pas échappé à la règle. Bien sûr, j'ai été la victime directe, mais tout mon univers a irrémédiablement basculé.

Quand je me suis réveillée après trois mois de coma, ma vie parfaite avait volé en éclats.

Mes parents s'étaient déchirés en se renvoyant l'un à l'autre la responsabilité de mon calvaire. Mon père reprochait à ma mère d'avoir instauré ce tour de garde du petit-déjeuner du matin. En effet, en périodes de vacances, à tour de rôle, nous allions chercher les croissants à la boulangerie du petit village, distant de trois kilomètres de la maison. Nous avions tous pris l'habitude de nous y rendre à vélo, afin de profiter de la douceur matinale de notre belle Provence. Ce matin là, c'était mon tour...

Ma mère, quant à elle, avait reproché à mon père d'avoir un peu bu la veille au soir, de s'être endormi comme une souche et d'avoir dormi tard ce matin-là. S'il s'était réveillé de bonne heure, disait-elle, il se serait rendu compte que je ne rentrais pas, il serait parti à ma rencontre et peut-être aurait-il pu empêcher l'horreur de se produire.

Ce qu'elle ignorait, c'est que mon sort avait été scellé bien avant que je n'arrive à la boulangerie, et que, quand bien même il se serait réveillé plus tôt, il n'aurait retrouvé que mon vélo, abandonné au bord de la route.

Mon père, brisé, avait fui le foyer, emportant dans ses bagages Maxime, mon frère aîné, et Wolf, notre chien.

Virginia, ma sœur, alors âgée de vingt et un ans, avait saisi l'opportunité pour partir poursuivre ses études de Design aux États-Unis et s'y était installée avec son petit ami, Virgile.

Non pas qu'elle ne se sentait pas concernée par ce qui m'était arrivé, mais l'ambiance familiale, la douleur et aussi sans doute la peur de voir les choses se reproduire avaient eu raison de ses espoirs de nous voir redevenir une famille normale.

Ma mère était restée seule avec Sasha, ma petite sœur, pour faire face au vide qui restait de notre belle vie d'avant. Chaque jour, elle venait tenir ma main dans le service de Réanimation de l'Hôpital de la Timone à Marseille. Elle me parlait, me chantait cette vieille berceuse qui m'avait si souvent apaisée, lorsque j'étais une petite fille effrayée par le noir, espérant secrètement qu'elle me protégeait des démons qui hantaient probablement mon inconscience.

Toujours à l'affût de la moindre information concernant mon état, elle ne manquait jamais la visite du médecin, chaque matin, dans l'espoir d'une bonne nouvelle, d'un signe quelconque de mon retour dans le monde des vivants.

Après la résorption de l'œdème cérébral à l'origine de mon coma, elle avait espéré me voir revenir, mais j'étais restée désespérément inerte.

Au bout de quelque temps, on avait pu m'extuber, ce qui était bon signe. Mes électroencéphalogrammes, bien que fortement ralentis, révélaient une activité cérébrale régulière. Je n'étais pas un légume. J'étais toujours là, quelque part. Alors, ma mère continuait d'espérer...

Le médecin s'était montré rassurant. Il n'était pas rare qu'une fois les causes physiques résolues, le psychisme fasse barrage à un réveil.

« Ce qu'a vécu votre fille, Madame Maury, du moins ce que nous en savons, a été d'une extrême violence, autant physique que psychologique. Il est possible, je dis bien possible, que son cerveau la maintienne dans cet état pour la protéger du choc qui serait le sien si elle se réveillait, et que tout cela lui revenait en mémoire. Elle n'est peut-être pas prête à y faire face, tout simplement. Il faut attendre, Madame Maury. On ne peut rien faire d'autre ».

Les auteurs de mon calvaire n'avaient pas été retrouvés. Il n'y avait aucune piste. Ils s'étaient volatilisés après m'avoir abandonnée sur le bord d'une petite route, près des Baux de Provence, à une vingtaine de kilomètres du lieu où j'avais disparu.

Ce matin-là, mon père était finalement allé au-devant de moi, constatant à son réveil que je n'étais toujours pas rentrée. Il avait trouvé mon vélo à deux kilomètres de la maison, dans le fossé, la roue voilée témoignant d'un probable accident.

Des traces de sang sur la route, ainsi qu'un morceau de chatterton trouvé sur les lieux avaient orienté l'enquête vers un enlèvement et, puisque mes parents ne disposaient pas de fortune personnelle qui aurait pu motiver une demande de rançon, la piste criminelle avait été envisagée.

Pendant les deux jours suivants, la gendarmerie, la police et l'armée avaient ratissé les environs. Des battues avaient été organisées avec la participation active des gens du crû. Les hôpitaux avaient été contactés ainsi que les cabinets médicaux et les pharmacies. En pure perte... Les points d'eau avaient été sondés, les bâtiments isolés visités, les bois avoisinants quadrillés. La population avait été interrogée. En vain, je restais introuvable...

Le troisième jour, il avait été décidé de fouiller chaque habitation, à vingt kilomètres à la ronde. Il avait été fait, à la demande du juge d'instruction, des prélèvements ADN sur tous les hommes de 15 à 70 ans. Le fichier des délinquants sexuels avait été interrogé et quelques personnes questionnées. Là encore, chou blanc...

Le quatrième jour fut marqué par la découverte de mon corps. C'est un promeneur et son chien qui m'avaient trouvée dans un fossé, inconsciente. Ils étaient passé par là, vingt minutes plus tôt et, un peu plus loin, avaient croisé une berline gris métallisé roulant à vive allure sur cette petite route pourtant escarpée. Le promeneur avait maudit les touristes qui se croient tout permis, avec leurs grosses voitures et leur culot tout parisien. À l'entendre, tous les touristes étaient des Parisiens.

Environ dix minutes plus tard, il avait rebroussé chemin, excédé par les aboiements de son chien. Sans la moindre raison apparente, il courait sans cesse dans le sens opposé, comme s'il avait voulu courser la voiture de ces maudits Parisiens et leur mordre les fesses, en guise de bienvenue. C'est ainsi qu'ils m'avaient trouvée.

J'avais été transportée à l'hôpital et placée en Réanimation jusqu'à ce matin du 27 octobre 2010 où j'ai finalement repris conscience.

Je m'appelle Annabelle, et je me souviens parfaitement de ce moment où, en ouvrant les yeux, j'ai compris que ma vie était terminée...

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Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant