Lundi 4 mai 2015
— Crois-tu que tu pourras te conduire convenablement sur un temps aussi long ?
C'est la question qui me brûle les lèvres et que je laisse échapper lorsqu'il me demande ma réponse.
Greg Delcourt, homme à femmes devant l'Éternel, pourra-t-il s'empêcher de me poursuivre d'ardeurs auxquelles je ne peux répondre ? Oui, j'ai envie de vivre quelque temps ici. Je m'y sens chez moi tout en étant enfin ailleurs. J'ai une jolie chambre, une salle de bain incroyable, la maison est grande et belle, la piscine immense. Le décor est paradisiaque : les dunes, la mer, c'est juste magique...
Je vais travailler avec Greg et j'attends beaucoup de cette collaboration. Dans mon entreprise de reconstruction de moi-même, je sais que cette partie de ma vie revêtira une importance capitale. J'ai besoin de me sentir utile, de rattraper le temps perdu, de renouer avec ces années où j'avais soif d'apprendre. Je veux tout savoir de sa société. Je veux être capable de le seconder le mieux possible. Il m'offre une opportunité que je n'aurais pas même osé espérer, après autant d'années de repli sur moi-même.
Je n'ai même pas mon Bac en poche et encore moins le diplôme d'études supérieures dont j'avais rêvé, mais le domaine de recherche de Delcourt Ingenierie est passionnant.
Je sais que Greg et moi allons réussir à nous entendre. Je vais devoir m'adapter à son caractère presque tendre par moment et dirigiste à d'autres. Je vais devoir le maintenir à distance parfois. Ce point m'est très désagréable. Je vais également devoir faire face à toutes les femmes qui peuplent sa vie ou plutôt hantent ses nuits...
Les ramènera-t-il ici ? Vais-je devoir les croiser et faire bonne figure ? Une chose est certaine : il ne me sera pas utile de mémoriser leurs noms... Jetées après usage, les pauvres... Même si je sais qu'elles savent à quoi s'en tenir, je me demande comment elles font pour l'oublier. Comment oublie-t-on un homme tel que Greg ?
— Je pense pouvoir me contrôler en ta présence, Annabelle, me dit-il avec un sourire moqueur.
Je hoche la tête et puis lui pose l'autre question qui me taraude.
— Ces femmes que tu vois, je veux dire celles que tu...
— ... baises, Annabelle. C'est le terme idoine. Il faut appeler un chat, un chat.
Bon sang, ce que je peux détester son franc-parler quand il s'agit de sexe ! Je soupire bruyamment.
— OK. Alors, ces femmes, tu les ramènes ici ? Je serai amenée à les croiser ?
— Est-ce que tu m'écoutes quand je te parle, Annabelle ? Il me semble avoir été très clair à ce sujet à Callelongue : il n'y aura pas d'autre femme.
— Mais... tu ...
— Mais je quoi ?...
— Tu as des besoins, si j'ai bien compris. Tu es... comment dire... un gros consommateur...
Je dois être rouge coquelicot tant cette conversation me semble déplacée. Je revois Greg, dans toute sa nudité, le soir du gala, et je vire directement au rouge brique.
— J'avoue avoir fait une consommation excessive, ces dernières années. Mais ce n'est plus ce dont j'ai envie, aujourd'hui. Il n'y a pas eu de femme depuis Camille.
— Camille ?
— La fille du gala...
— Oh... je vois. Celle qui criait si fort qu'on pouvait l'entendre à cinquante mètres à la ronde ?
—Tu exagères peut-être légèrement. Elle ne criait pas si fort.
Il rit aux éclats et son rire est si communicatif que, contre toute attente, je me mets à rire à mon tour.
— Je t'assure que si. J'ai cru que tu lui faisais du mal. Pourquoi aurait-elle crié, sinon ?
Je me rembrunis.
Greg fronce les sourcils un instant, puis se lève, contourne la table et vient s'agenouiller près de moi. Son regard plonge en moi. Il sonde ma capacité à entendre ce qu'il va me dire, puis se lance :
— Peut-être parce ressentait-elle énormément de plaisir et que c'était sa manière à elle de l'extérioriser. Chaque femme vit cela à sa manière.
J'ai du mal à imaginer une telle chose. Pour moi, les cris sont faits pour manifester des sentiments négatifs, comme la colère, la peur ou la douleur.
—Ne t'est-il jamais arrivé de ressentir un plaisir tel, une joie tellement intense que tu aies eu envie de crier ? On dit bien « crier de joie », tout comme on peut « pleurer de bonheur »...
— Peut-être bien que oui, lorsque j'étais enfant. Mais c'est tout à fait différent du sujet qui nous occupe. J'ai....
Je me tais, abasourdie. Étonnamment, je suis presque tentée de verbaliser des choses avec lui, comme si je parlais avec un ami ou un frère en qui j'aurais placé toute ma confiance.
— Dis-moi, Annabelle. Tu ne dois pas avoir peur de me parler, ni redouter mes réactions. Je t'ai promis que je serais là pour toi, à chaque instant de ton périple. Si tu veux guérir du mal qui te ronge, tu vas devoir accepter de l'extirper, morceau après morceau. La première fois, ce sera très pénible, et puis, au fur et à mesure, cela deviendra plus facile. Tu en ressentiras même le besoin, et tu te rendras compte qu'en parler te soulage. Mais tu dois faire le premier pas, un tout petit pas...
Quelque part en moi, je sais qu'il a raison. Mais comment commencer ? Qu'est-il acceptable de dire ? Que sera-t-il capable d'entendre ? À quel moment la révélation de mon passé le dégoûtera-t-elle tant qu'il m'abandonnera ?
—Tu ne veux pas entendre ce qui pourrait sortir de moi, Greg, tu peux me croire !
Il fronce à nouveau les sourcils, réfléchit un instant et reprend :
— Je me souviens de ce que tu m'as dit à Paris, au Georges V. Tu as dis que, si un jour tu devais te donner à un quelqu'un, tu choisirais un homme qui t'aimerait telle que tu es, avec tes blessures, avec tes peurs, et qui ferait tout ce qui est en son pouvoir pour les adoucir. Tu t'en souviens ?
Je hoche la tête.
— Je veux être cet homme-là, Annabelle. Je t'accepte comme tu es : avec tes fêlures, tes fantômes, tes peurs. Je ne m'enfuirai pas...
— Tu l'as déjà dit, à la clinique... Mais lorsque je t'ai parlé, lorsque je t'ai confié des choses, tu as pris peur et tu es parti.
— Tu as raison, j'ai eu peur, mais pas de ton passé. J'ai eu peur de ne pas être à la hauteur. J'avais tort, Annabelle. Je suis à la hauteur. Nous sommes à la hauteur, toi et moi. Et nous remporterons cette victoire. Ensemble. J'en suis convaincu.
Ses yeux brillent d'un nouvel éclat. Ils reflètent la parfaite sincérité de ses paroles. Sera-t-il capable de tenir la distance ? Je l'ignore, mais je choisis de m'en remettre à lui.
Mes doigts tremblent. J'avale ma salive avec difficulté. Pourquoi est-elle si épaisse ? Pourquoi ma bouche est-elle aussi sèche ?
Comme lisant dans mes pensées, Greg me tend un verre d'eau. Il ne me lâche pas du regard. Il me soutient. Il m'encourage.
— J'ai crié, j'ai hurlé, mais ce n'était pas de plaisir. Ce n'était que terreur et douleur. Tout ce que je connais du sexe se résume à cela : l'humiliation, la peur, la souffrance...
Je me nomme Annabelle, je viens de m'ouvrir à Greg, comme je ne l'ai jamais fait avec personne. Et, tandis que son regard se perd en moi, je prie, avec ce qu'il me reste de foi, pour qu'il ne me rejette pas.
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Diary of Rebirth Tome 1 : Apprivoiser
RomanceAnnabelle Maury a vécu l'innommable. Réfugiée au sommet de la tour d'ivoire dans laquelle elle s'est enfermée, elle n'attend plus rien de la vie. D'autant que les loups rodent toujours... Greg Delcourt est un homme désabusé. Il a perdu confiance e...