Lundi 27 avril 2015
Maman est venue me rendre visite, ce matin. Elle m'a longuement raconté sa journée, le nouveau look de sa collège de bureau, les heures supplémentaires que son boss lui a proposé de faire le mois prochain, les courses rapides à l'hypermarché du coin et d'autres choses, encore, que je n'ai pas écoutées.
Je n'ai rien répondu. Je ne parle plus. Je suis ailleurs, dans ma bulle, recroquevillée sur mon lit que je ne quitte que pour aller m'allonger dans le transat, sur la terrasse ensoleillée.
Mon petit monde rassurant, mon univers, en somme.
Cette clinique est vraiment calme, loin de tout et de tous, je m'y sens bien.
J'y suis arrivée mercredi matin. C'est maman et Antoine Delcourt qui m'y ont amenée. Pour que je me repose, pour que j'aille mieux.
Ils espèrent que je vais sortir du mutisme dans lequel je me suis enfermée. Ils espèrent que je pourrai enfin leurs raconter ce qui m'est arrivé, mardi soir, à Paris.
Mais moi je ne veux pas leur raconter, je ne veux pas y penser. Je ne veux penser à rien d'autre qu'au blanc du mur, à ce tableau qui représente la garrigue, à cet autre qui dépeint un bateau bleu et blanc. Tout est paisible, reposant, immensément calme.
Je ferai n'importe quoi pour ne pas penser à Greg, pour ne pas penser à eux... mon souffle devient tout à coup plus rapide, je me noie de nouveau, je ne veux pas mourir, Maman.
Elle appuie sur une petite sonnette d'alarme et presque instantanément une infirmière douce et souriante se dirige vers moi et me prend la main.
— Tout ira bien, Annabelle, respirez lentement, vous verrez tout ira bien.
Et puis je sombre.
********
six jours plus tôt...
Le taxi roule vers l'hôtel Georges V. C'est l'adresse que j'ai donnée. Je ne savais pas où aller.
J'étouffe. Je la ressens, cette sensation que l'on a lorsque l'on plonge sous l'eau et que l'on retient son souffle. Si je respire, l'eau va s'engouffrer dans mes poumons et je vais mourir. Est-ce que je veux mourir ? Est-ce que c'est ce que je désir ? Dois-je inspirer et laisser la vallée de larmes s'engouffrer dans mes poumons ou bien dois-je persister à retenir ma respiration. Je ne sais pas ce qui serait le moins douloureux.
Je crois que je me berce d'avant en arrière, comme avant, après le drame, lorsque je ne faisais que me balancer, comme poussée par le vent, les yeux perdus je ne sais où, ne pensant plus à rien, assommée par les médicaments, au rythme des journées qui défilaient doucement.
Mais aujourd'hui je n'ai rien pris. C'est étrange. C'est comme si mais ce n'est pas le cas. Je me sens comme anesthésiée, dans du coton. Je flotte.
— Nous sommes arrivés à votre hôtel, mademoiselle.
Je ne veux pas être là finalement. Je sens que cet endroit n'est pas fait pour moi. J'y suis en danger. Je veux rester dans le taxi. Je reste dans le taxi. Je ne bouge pas. Je ne réponds pas au chauffeur, lorsqu'il me réclame le montant de la course. Je reste là. Je suis bien.
Au bout de je ne sais combien de temps, il monte à l'arrière du véhicule avec moi. Il est maintenant assis près de moi, il a ma main dans la sienne et il me parle, doucement.
— Vous avez des soucis, petite demoiselle ? Je peux faire quelque chose pour vous ? Je peux peut-être appeler quelqu'un. ?
J'attrape lentement ma pochette, l'ouvre, au ralenti et attrape mon smartphone. Il est lourd dans ma paume. Je le regarde fixement, sans même me souvenir ce que je peux bien vouloir en faire. Le chauffeur de taxi le prend doucement de ma main et parcourt rapidement le répertoire téléphonique.
— Je peux peut-être appeler votre maman ? Je vois son numéro ici. Il est écrit maman. Vous voulez que je l'appelle ?
Je lève la tète vers lui, le regarde fixement sans rien lui répondre. Je n'ai pas même la force d'un oui. Alors il décide pour moi. Il porte le téléphone à son oreille, j'entends au loin une sonnerie et puis une autre et puis la voix de Maman.
— Bonjour madame. Je suis le chauffeur de taxi de votre fille. Nous sommes à Paris, devant le Georges V. Elle ne veut pas descendre de mon taxi, elle ne parle pas, elle bouge à peine, elle semble... en état de choc peut-être. Je ne suis même pas sûr qu'elle comprenne tout ce que je lui dis. Elle est ailleurs, vous comprenez ? Non, Madame, elle ne semble pas blessée. Oui, je peux vous la passer mais je doute qu'elle vous réponde.
L'homme place l'appareil sur mon oreille gauche et j'entends la voix de Maman. J'ignore ce qu'elle me dit, je l'entends mais ne l'écoute pas. Je suis bien. Je suis loin.
— Je suis désolé, Madame, elle ne parle pas... Oui Madame ... il y a une clinique pas très loin. Bien sur je peux l'y emmener. Vous allez venir la chercher ? Vous prenez l'avion. Bien entendu, Madame. Au revoir.
L'homme repose le portable dans ma main, qu'il serre et sort de la voiture pour reprendre sa place à l'avant. Il démarre et nous roulons, pendant une durée que je ne quantifie pas, pour enfin nous arrêter devant l'entrée d'un service d'Urgences.
Le chauffeur vient me chercher. Je ne veux pas sortir du taxi. Je veux rester ici.
L'homme reprend alors mon mobile et appelle de nouveau. Il le place une fois de plus contre mon oreille et j'écoute Maman. Elle me dit que tout ira bien, que je peux suivre le chauffeur de taxi, qu'elle sera près de moi dans trois heures tout au plus, qu'elle va tout arranger.
Alors je suis l'homme. Il sonne devant la porte vitrée bien éclairée, et lorsqu'une infirmière se présente il lui tend mon téléphone. L'infirmière parle un instant avec Maman, elle hoche la tête, elle comprend, elle dit qu'elle comprend. Puis elle raccroche, rend le smartphone au chauffeur de taxi qui me le tend.
L'infirmière s'avance alors vers moi et pose une main sur mon épaule. Je serre contre moi ma pochette et mon mobile, emmitouflée dans le manteau de fourrure. J'ai besoin de ces choses pour être bien. J'avance lentement, l'infirmière aussi. Nous franchissons les portes vitrées et elle m'emmène avec elle, tandis que le chauffeur s'éloigne. Je me retourne pour le regarder et lui souris. Il m'a sans doute sauvée ce soir.
Nous marchons dans le couloir blanc et rentrons dans un box. L'infirmière m'assoit précautionneusement sur un brancard. Elle veut me prendre ma pochette et mon portable, mais moi je ne veux pas. Je veux les garder. Ils me rassurent. Elle n'insiste pas.
Doucement elle retire mon manteau et marque un temps d'arrêt en découvrant mes dessous pour tout vêtement. Elle m'aide à m'allonger, me recouvre d'un drap et relève les barrières, de chaque côté de moi. C'est bien, je me sens en sécurité. Je m'endors.
La voix de Maman me réveille légèrement. Elle parle avec Antoine. Il est gentil avec Maman. Il est gentil avec moi, lui.
Maman m'explique qu'elle me ramène chez nous, que je vais aller à la clinique pour me reposer. Ça me va. Je me rendors.
Je m'appelle Annabelle Maury, j'ai choisi de m'évader plutôt que d'avoir mal, j'ai choisi de disparaître plutôt que de me souvenir.
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Diary of Rebirth Tome 1 : Apprivoiser
RomanceAnnabelle Maury a vécu l'innommable. Réfugiée au sommet de la tour d'ivoire dans laquelle elle s'est enfermée, elle n'attend plus rien de la vie. D'autant que les loups rodent toujours... Greg Delcourt est un homme désabusé. Il a perdu confiance e...