Tête à claques

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Lundi 4 mai 2015

La discussion entre mon père, Anne et moi a tourné cours depuis une bonne vingtaine de minutes, nous restons sur un status quo, aucun d'entre nous ne voulant céder.

Je leur ai appris ma volonté de demander à Annabelle de venir passer quelque temps chez moi. J'ai largement la place pour la loger sans que la promiscuité puisse être un obstacle entre nous. J'étais résolu à veiller sur elle et l'incident de la nuit m'en a définitivement convaincu. Tout le monde serait gagnant. Anne aurait enfin l'opportunité de vivre pour elle-même et la présence de mon père au petit-déjeuner m'a fait prendre conscience du lien qui le lie à Anne Maury.

Je n'ai jamais vu mon père avec une autre femme. C'est la première fois. Et je me rends compte que cette histoire ne date pas d'aujourd'hui. Je n'y ai vu que du feu. Il faut dire que mis à part ma petite personne, je n'étais pas intéressé par grand-chose, ces dernières années. Papa et moi allons devoir avoir une petite discussion. Mais pas aujourd'hui.

Pour le moment j'attends Annabelle, qui est montée il y a plus de trois quarts d'heure et qui ne redescend pas. Je consulte ma montre pour la troisième fois en cinq minutes et me résous à aller la chercher.

Elle semble heureuse de venir travailler avec moi et la manière dont elle a foncé dans les escaliers pour se préparer m'a fait sourire. Elle a parfois des réactions d'adolescente et j'aime vraiment ça. La différence nette entre l'adulte grave et tourmentée et l'adolescente gaie et insouciante est parfois troublante, mais ô combien stimulante.

Mais Annabelle n'est pas dans sa chambre.

La chemise de nuit qu'elle portait encore ce matin gît sur le sol, preuve qu'elle s'est préparée pour aller travailler. Un rapide petit tour dans la salle de bain me conforte dans cette idée : elle a pris une douche, les parois sont trempées et une serviette humide est négligemment posée sur le lavabo.

Alors où peut-elle bien être ?

Je redescends en direction de la cuisine et, traversant le vestibule, aperçois le petit sac besace qu'elle avait avec elle, lorsque nous sommes allés à Callelongue.

Espérant la trouver dans la cuisine, je m'y rends d'un pas rapide quand je découvre, tout près du mur qui sépare le petit salon de la cuisine, le portable d'Annabelle. Je le ramasse, le tourne et le retourne dans ma main, et entrevois le début d'un problème.

Je l'ai vue, plus d'une fois, dans des moments de stress intense, serrer contre elle ce portable. Pour une raison qui m'échappe, il a pour elle une importance capitale, comme une sorte de grigri porte bonheur. Elle ne peut pas l'avoir laissé tomber sans s'en rendre compte, c'est hautement improbable.

Je me rue dans la cuisine au moment où Anne raccroche le téléphone :

- Robert Jussian vient d'appeler. C'est notre voisin, il habite la maison un peu en contrebas. Il dit qu'il a vu Annabelle marcher le long de la grande route, en direction de Marseille...

Tout à coup, les pièces du puzzle se mettent en place : la vive discussion que nous avons eue, tandis que nous la croyions à l'étage, les propos que nous avons tenus concernant son agression, le téléphone et le sac abandonnés, tous ces éléments s'imbriquent parfaitement.

Annabelle sait que je sais.

- Je vais la chercher ! dis-je en attrapant ma veste et mes clés de voiture

Au passage je fourre son téléphone dans ma poche et attrape sa besace. Mon inquiétude se renforce à chaque seconde. Je ne sais pas ce qui trotte dans sa tête, mais je la sais suffisamment fragile pour avoir perdu les pédales à l'idée que je sache tout.

À la hâte, je prends la direction de Marseille. Le moteur de la Porche est mis à rude épreuve, je dépasse des colonnes de voitures, sans la moindre précaution, je guette sa silhouette sur le bas-côté, elle n'a pas pu aller si loin. Depuis combien de temps est-elle partie ?

Je commence vraiment à paniquer, quand au loin je la distingue enfin. Elle monte à l'avant d'une voiture, qui repart aussitôt, à vive allure.

À qui appartient cette voiture ? Connaît-elle le conducteur ? Où la conduit-il ?

J'imagine un homme, trop heureux d'avoir fait monter dans sa voiture une jolie femme, vulnérable. Je me sens près de l'implosion.

Mon sang ne fait qu'un tour. J'accélère, pied au plancher, zigzagant entre les voitures sur ces deux voies encombrées. Je remonte la file, jusqu'à pouvoir lire la plaque d'immatriculation que je mémorise. Mon instinct ne m'a pas trompé, c'est bien un homme qui est au volant. Il roule sur la voie de droite, à vitesse réglementaire.

J'accélère encore, le dépasse par la gauche, tout en jetant un bref coup d'œil dans l'habitacle : tout semble normal.

Je me rabats devant lui, accélère encore, mettant entre nous une distance appréciable, puis, d'un coup de volant parfaitement contrôlé, je fais faire un quart de tour à la Porche qui s'immobilise en travers de la voie.

.

Le conducteur réagit promptement et pile net, le nez contre ma portière passager. C'était moins une.

Je sors de la voiture, me dirige sans hésiter vers Annabelle et, ouvrant la portière, lui intime l'ordre de sortir.

- Sors de cette voiture, immédiatement !

Je crois que je crie. Je suis littéralement hors de moi.

L'homme tente une rebuffade et attrape le bras d'Annabelle pour la retenir.

- Lâche-la, connard. Je ne te le dirai pas deux fois, tu la lâches ou je te défonce !

Le type n'insiste pas, il me traite de grand malade, tandis que j'extrais manu militari ma petite fugueuse du siège passager. À peine la portière refermée, le type redémarre, contourne ma voiture et s'enfuit sans demander son reste.

- Monte dans la voiture, tout de suite !

Elle me regarde, apeurée, les larmes frappant déjà aux portes de ses paupières.

- Pas cette fois Annabelle, tes larmes ne te sauveront pas. Monte dans la voiture avant que je n'explose vraiment ! Il ne me reste pas un sou de patience, je te préviens.

Elle s'exécute sans un mot.

Je monte à mon tour dans la voiture et reprends la route vers Marseille. Je suis à l'affût d'un endroit pour m'arrêter et pour lui demander à quoi elle pensait. Elle ne bouge pas un sourcil, recroquevillée contre la portière, regardant ses doigts avec attention.

J'avise un parking pour routiers à quelques mètres et m'y engage rapidement. Ça fera l'affaire.

Je me gare, sors de la voiture, la contourne et ouvre la portière passager en lui tendant la main.

- Sors de la voiture Annabelle, nous avons à parler.

Elle refuse l'aide de ma main et sort par elle-même.

Putain de fille butée ! Je n'en ai pas fini avec toi !

Je m'appelle Greg Delcourt, je suis un type plutôt calme, en temps normal, mais à cet instant je sens bouillonner en moi une rage folle et un soulagement profond. Elle est avec moi, elle est en sécurité désormais.



Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant